Djemila Benhabib : « Je n’ai pas honte d’être née femme. Je n’ai pas à m’en excuser. Je n’ai pas à m’en cacher. »
Avertissement : Ceci est un document de travail d’une traduction pour anglophones, il devait figurer à l’origine sous le texte traduit en anglais mais pour des raisons de mise en page et de présentation il était plus lisible de séparer les deux versions. Il s’agit d’extraits d’articles et/ou entrevues, afin d’introduire les idées des autrices au grand public, mais en aucun cas d’un compte rendu exhaustif de leurs pensées… Afin de mieux les connaître n’hésitez pas à acheter leurs livres ! Merci pour votre compréhension.
La traduction de ce texte est ici
Toutes les autres traductions se trouvent là
Autrice, journaliste, conférencière, Djemila Benhabib est née en Ukraine d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien. Elle a grandi en Algérie qu’elle a été contrainte de fuir en 1994 après la condamnation à mort de sa famille par le Front islamique du djihad armé (FIDA). Réfugiée en France, elle s’installe finalement en 1997 au Québec où elle va étudier la physique, les sciences politiques et le droit international. En lutte contre l’islamisme et notamment le voilement des fillettes, elle est victime de nombreuses intimidations et harcèlements de la part des islamistes au Canada, notamment par voies judiciaires. Djemila nourrit ses analyses par le portrait de résistants des pays musulmans, dont plusieurs sont tombés au champ d’honneur: Abderrahmane Fardeheb, Tahar Djaout, Naguib Mahfouz, et ceux qui poursuivent le combat, tels que Kamel Daoud, Alaa El Aswany et Boualem Sansal, qui a rédigé la préface de son ouvrage «Après Charlie».
Sur le voile :
« Le voile, c’est un rapport obsessionnel au corps, à la chair, au sexe. Le voile, c’est le contrôle de la sexualité des femmes. Ne soyons pas assez naïfs pour croire que le Hijab serait acceptable, voire progressiste alors que la Burqa serait rétrograde et inacceptable. La différence entre les deux ne tient qu’à la taille du tissu. La signification reste la même : la manifestation archaïque de l’oppression et de la soumission des femmes.
Ces femmes prétendent qu’elles se voilent pour ne pas attirer le regard des hommes et réveiller leurs pulsions. Cette conception qui considère la femme comme une « tentatrice inassouvie » et l’homme comme un « perpétuel prédateur » est totalement infantile et primaire.
Je n’ai pas honte d’être née femme. Je n’ai pas à m’en excuser. Je n’ai pas à m’en cacher. Les Islamistes rendent les femmes coupables de leurs désirs, de leurs misères et de leurs frustrations sexuelles. Ce sont des malades du sexe. La haine et la soumission des femmes cristallisent leur idéologie. Il ne peut y avoir des femmes libres et émancipées dans un Etat islamique, ni d’hommes d’ailleurs. Engels avait raison de dire que « le degré d’émancipation de la femme est la mesure du degré d’émancipation générale ». (Extrait de « Ma vie à contre-Coran »)
« Extrait d’une lettre ouverte : Cher(e) étudiant(e) de Sciences Po, aie le courage d’être une femme/un hommelibre! Cher(e) étudiant(e) de Sciences Po, Le 20 avril dernier, tu as organisé (par simple bonté?) une journée pour célébrer le voilement des femmes avec une tranquillité d’âme déconcertante. Il s’agit là de l’enfermement de ma fille, de celui de ma mère, du mien, ainsi que de celui de millions de femmes à travers le monde.
D’où te vient cette faculté de rendre exotique l’aliénation des autres?
Bien entendu, ce voile dont tu fais la promotion n’est pas universellement valable. Tu t’en exclus et en préserves les tiens. Au fond, à toi la légèreté, à moi la prison. Étrange conception. Il est là justement le racisme! As-tu pensé, un seul instant, à inverser les rôles? Allez, chiche! A qui voudrais-tu faire croire que l’asservissement est la condition naturelle des femmes de culture ou de foi musulmane? Étant de celles-là, je te rassure tout de suite, je n’ai ni le culte de la bigoterie, ni le don de la soumission. J’appartiens à une longue tradition de lutte façonnée par des femmes habitant aussi bien leurs corps que leurs têtes. Je revendique la liberté d’une façon excessive. C’est loin d’être facile.
S’arracher à la domination est le projet de toute une vie.
Ma révolte est née de la souffrance. Alors, je vais répéter une évidence: jamais je n’accepterai, ici, ce que j’ai refusé là-bas. Là-bas étant l’Algérie de mon enfance, défigurée par l’hydre islamiste dans les années quatre-vingt-dix et marquée par le refus obstiné de la barbarie et des voiles de la servitude.
Le voile? Jamais! Ni ici, ni là-bas, ni nulle part ailleurs.
Les « putains », le voile et la démocratie : Cher étudiant de Science Po, il m’est déjà arrivé de te croiser dans les rues de Paris, non loin de ton institut. Tu es à l’image de ton époque, vivant dans le désir exalté et cultivant ton moi d’une façon presque excessive. Ton attitude n’est pas pour me déplaire. Mieux vaut vivre dans l’excès de ton individualité que mourir de son abandon. Pourquoi alors fais-tu de MA sexualité l’affaire de tous? Pire encore, tu évoques mon entrejambe comme s’il s’agissait de TA chose. En reprenant à ton compte la symbolique du voile, c’est-à-dire la stricte séparation entre les femmes « pures » et les femmes « impures », tu m’entraînes sur le terrain de la moralité. Tu te comportes comme un tuteur patenté.
De quel droit me places-tu sous ta tutelle?
Tu fais de moi une « putain ». Tu me désignes comme une proie sexuelle. Tu en appelles à mon viol. S’il t’est déjà arrivé de marcher dans les rues du Caire, de Casablanca ou d’Alger, tu as certainement dû remarquer qu’au bout de la promenade se dessine pour les femmes une prison à ciel ouvert. Leurs corps sont scrutés, haïs, fantasmés, découpés au scalpel lorsqu’ils ne sont pas carrément souillés par des mains coriaces prêtes à toutes les bassesses pour agripper un morceau de chair. Avec ou sans voile, du berceau au tombeau, nous ne sommes qu’un amas de désolation. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les « femelles » sont vues comme des forteresses à prendre d’assaut, des boules de chair contre lesquelles on se frotte dans le métro et dans les autobus, des champs de bataille où l’on se défoule après un match de foot, des paillassons sur lesquels on s’essuie les pieds sans même y penser? C’est ce que montre, entre autres, le film « Les Femmes du bus 678 » du réalisateur égyptien Mohamed Diab. L’as-tu vu?
« C’est Allah qui veut » : Cher étudiant de Sciences Po, si ce voile n’était qu’un vêtement comme un autre, il ne serait pas imposé avec autant de vigueur et de rigueur aux Iraniennes et aux Saoudiennes, pour ne citer que ces deux exemples. Annexé, le corps de la femme devient la possession de l’homme, de l’imam, du tyran et d’Allah, partageant tous la même détestation des femmes. Soumettez-vous, obéissez, acceptez votre sous-humanité! crient-ils à l’unisson. Ce contrôle du corps dans l’espace intime se déplace peu à peu dans l’espace public. A plus grande échelle, la violence domestique devient le laboratoire d’une violence sociétale systémique. Les femmes jugées immorales se trouvent doublement condamnées: par l’État (la police des mœurs), loin de les protéger, et par la société, qui les conspue. Cette mise en scène de la transgression par le corps de l’ordre moral et politique est un appel délibéré à la vindicte populaire. En faisant de la sexualité des femmes l’affaire de tous, ceux qui s’entichent de pureté et d’abstinence fusionnent la sphère privée et la sphère publique.
Or, le détachement de la sphère privée de la sphère publique est l’un des fondements de la modernité, qui rend possible l’exercice démocratique et garantit le respect des libertés individuelles.
Qui tire parti d’une police qui réglemente la longueur de la jupe des femmes si ce n’est ces zélateurs de la morale? L’existence des régimes islamistes tient à leur capacité à contrôler la sexualité de la moitié de la société. L’ordre moral devient le fondement de l’autorité politique. Autrement dit, si les voiles tombent, les régimes s’effondrent! En ce sens, la négation du sujet sexuel se traduit inéluctablement par la négation du sujet politique. Une femme dont le corps est occulté porte sa tête avec lassitude. Bref, le voile et la démocratie ne font pas bon ménage! La liberté de l’esprit. La liberté du corps. La liberté tout court. C’est cela qu’il faut défendre!
Il suffit d’ailleurs d’interroger la condition des petites filles pour se rendre compte que leur formatage à la norme islamiste ne souffre d’aucune dérogation. En mars 2002, dans l’incendie d’une école de filles de La Mecque, qui accueillait 800 élèves, la police religieuse a empêché des fillettes de fuir sous prétexte qu’elles n’étaient pas voilées comme l’exigeait la norme. Plusieurs témoins oculaires, y compris des membres des équipes de la sécurité civile, ont expliqué que leur travail de sauvetage avait été entravé par des membres de la police religieuse qui s’inquiétaient que des hommes pénètrent dans une école de filles ou que celles-ci en sortent non voilées, d’autant qu’aucun homme appartenant à leur famille n’était là pour les recueillir. En somme, allez plutôt crever les filles que de dévoiler quelques mèches de vos cheveux!
« Ni obligation, ni interdiction du voile », vraiment? : Cher étudiant de Sciences Po, cette initiative que tu as prise a le mérite de dévoiler au grand jour l’état de confusion qui s’est glissé dans ta tête. S’agissant des concepts, tu sembles perdu au point de ne plus savoir ce qui différencie la liberté de l’aliénation, le libre choix de la servitude volontaire. Étienne de La Boétie reviens je t’en prie! Grisé par une overdose de liberté, tu es devenu indifférent au sort de tes semblables. Tu as rompu avec une partie de l’humanité. Ta pensée s’est ramollie. Tu as déserté ta responsabilité. A tes yeux l’émancipation n’est rien; la fraternité est datée; la solidarité est un truc de nostalgiques. Tu t’es laissé contaminer voire piéger par un Tariq Ramadan, champion du double discours s’il en est un, qui avance masqué derrière sa célèbre pirouette sémantique (encore une!) « ni obligation, ni interdiction du voile » pour mieux mitrailler la résistance des têtes nues. (…)
L’islam politique implique une rupture historique avec la République :En Occident, ce voile est devenu le porte drapeau de tous ceux qui prônent la fusion entre l’islam et l’État. L’islam politique implique une rupture historique avec la République, et une réorientation sociétale majeure. Fragiliser le statut des femmes devient donc un impératif. Dans cette perspective, investir l’espace public par le voile est un enjeu majeur. Le pouvoir passe par la visibilité des « voilées ». Tout cela, Tariq Ramadan le sait fort bien. C’est pourquoi il fait du voile SA priorité. Lui, ses militants et leurs organisations satellitaires, des Frères musulmans aux salafistes, travaillent d’arrache-pied pour que l’expansion de l’islam politique soit aussi vigoureuse que rapide.
A l’évidence, cher étudiant de Sciences Po, tu souffres du syndrome de l’individu blasé par un trop-plein de privilèges et de liberté. Il est vrai qu’en cette matière tu n’as rien demandé. La liberté est venue à toi sur un plateau en or. Soit. Tu n’as jamais risqué un seul cheveu de ta tête pour te rendre dans une salle de classe. Toi, tu n’es pas une petite fille du Nigeria. Toi, tu affiches une réelle indifférence face au calvaire de Assiatou « Enlevée par Boko Haram » (Michel Lafon, 2016). Toi, tu n’es ni Katia Bengana ni Amel Zenoune, deux jeunes femmes assassinées à la fleur de l’âge pour leur refus de porter le voile dans l’Algérie des années quatre vingt-dix. Toi, tu hausses les épaules face aux résistances héroïques des femmes iraniennes et afghanes. Toi, tu n’as connu ni l’exil forcé, ni la persécution sourde et muette des longues nuits de terreur des enfants et des femmes yézidis. Toi, tu ne t’es jamais caché pour prier, comme sont condamnés à le faire des chrétiens d’Orient. Toi, tu n’as jamais eu à trembler dans un autobus de peur que ton identité soit reconnue. Toi, tu ne sais pas ce que signifie la révolte d’un Garcia Lorca. Toi, tu ne te sens solidaire ni du destin d’une Asia Bibi ni de celui d’un Raïf Badawi. Toi, tu as visité le ghetto de Varsovie comme si tu te rendais à un concert de rock. Toi, tu n’as strictement rien retenu de l’affaire Dreyfus.
Non, la vérité n’est pas une moyenne de toutes les postures. Entre la démocratie et le fascisme vert, il n’y pas de demi-mesure. On ne peut prôner du même souffle la liberté et l’aliénation. C’est soit l’un, soit l’autre. A toi de choisir ton camp.
Aie le courage d’être une femme libre!
Reconnaître en l’Autre ta propre humanité t’aurait pourtant permis de saisir l’impératif catégorique de Kant lorsqu’il affirme: « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle ».
Certes, la République s’est montrée généreuse à ton égard. Mais que fais-tu pour défendre ses idéaux? Flirter avec la théocratie? Faire du pied à Daech? Oui, je vais oser le dire et aller jusqu’au bout de mon raisonnement. Entre ceux qui s’enrôlent dans les milices de Daech et toi qui participes à normaliser ses symboles, il y a bel et bien un fil conducteur. A moins de considérer qu’entre l’idéologie, le politique et le militaire, nul lien n’existe. Tu devrais le savoir, toi qui consacres tes journées à étudier l’histoire des régimes politiques.
Avec cet événement du Hijab Day, tu contribues à banaliser le mal tel que défini par Hannah Arendt. Le pire, c’est lorsque tu renonces à exercer ta responsabilité première de citoyen d’une démocratie. Tu t’égares. Tu déshonores la pensée. Tu méprises la connaissance. Tu t’éloignes de la condition humaine. Tu trahis les philosophes des Lumières. Tu t’enfonces dans un exotisme servile. Pourtant, ta condition de privilégié parmi les privilégiés ne fait pas de toi un être non moins apte à saisir la complexité du monde dans lequel nous vivons. »
Sur la stratégie islamiste :
« Ce terrorisme je le connais bien. Je l’ai vécu en Algérie. Son objectif premier est la terreur. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue qu’il est l’expression d’un projet politique qui vise à anéantir la démocratie. (…) L’islam politique, lui, avance. Malgré quelques ratés, il demeure un mouvement planétaire avec un appétit gargantuesque pour le pouvoir et une force d’attraction incontestable.
Désormais, les islamistes ont pris racine sur les deux rives de la Méditerranée et des deux côtés de l’Océan. Ils travaillent d’une façon concertée depuis 1960 grâce notamment à la diplomatie du porte-monnaie de l’Arabie saoudite qui a mis en place l’OCI et la Ligue islamique mondiale pour propager le wahhabisme à travers le monde. Tout ceci avec la bénédiction des Etats-Unis qui voyaient dans cette vague verte la possibilité d’engloutir l’ennemi rouge soviétique. A partir de là, toutes les dérives devenaient possibles. Eh bien nous y sommes! (…)
Le but immédiat des Frères musulmans n’est pas d’établir la charia. Ce sont de grands pragmatiques et de fins stratèges. Ils savent qu’à court terme, l’exigence de la charia est contre-productive. Ils appuient sur un autre bouton: le respect de la «diversité» et de la liberté de religion. Ils vouent une haine viscérale à la laïcité qu’ils combattent farouchement. Ils agissent sur plusieurs fronts. Celui des politiques pour les influencer et pénétrer leurs instances. Celui des sphères intellectuelles et médiatiques qu’ils «travaillent» au corps pour formater l’opinion publique de façon à normaliser leur mouvement sur l’échiquier politique. Le troisième consiste à travailler les communautés musulmanes par un gigantesque réseau d’organisations caritatives pour les enfermer dans le fantasme de la Oumma et les isoler des sociétés d’accueil. »
« Derrière cet essor de l’islam politique, il y a des soutiens biens connus, des États bien connus, comme l’Arabie Saoudite par exemple… Ce sont les contradictions dans lesquelles nous vivons et que nous payons en termes de vies humaines… (…) N’eût été l’accord Arabie Saoudite-Etats-Unis depuis 1945, pétrole contre sécurité, la configuration du monde aurait été différente. Car les relations internationales ont été configurées à partir de cette contradiction principale, à savoir le fait que l’une des plus puissantes démocraties du monde a pour allié une théocratie de droit divin. C’est absurde, mais c’est ainsi. Il faut donc appeler à une reconfiguration des relations internationales. L’exemple de la Suède est à cet égard intéressant parce qu’il nous montre que l’on peut faire les choses différemment en rompant des relations économiques. »
Sur la religion :
Quand on dit : «les croyants peuvent manifester…». Doivent-ils le faire à tout moment et en tous lieux, là est la question. (…) Cette liberté de religion devient-elle pour autant une obligation absolue de religion? Le problème c’est qu’on a fait de cette liberté de religion presque un droit absolu de religion. Une liberté comme son nom l’indique n’est pas un droit. Elle est modulée par des droits et libertés reconnus dans le cadre d’une société libre, plurielle et démocratique.
Au-delà de ce débat juridique, la question qui nous est posée est d’abord d’ordre philosophique et politique. Elle est fort simple d’ailleurs. Jusqu’où peut aller la liberté de religion dans une démocratie? Nous pensions cette problématique dépassée. Elle l’a été en quelque sorte concernant le christianisme. Marcel Gauchet a une belle expression pour illustrer ce processus en évoquant «la sortie du religieux». A bien y réfléchir, il est question plutôt de «la sortie» du christianisme. C’est pourquoi l’un des chapitres de mon livre s’intitule «Dieu est mort (un peu), Allah est vivant (beaucoup)».
Multiculturalisme et communautarisme :
L’«accommodement raisonnable» est l’outil juridique de l’idéologie canadienne du multiculturalisme. Celle-là même qui combat la laïcité, qui déconstruit l’égalité universelle, qui porte atteinte aux droits des femmes et institutionnalise la primauté du religieux. Il serait trop long de revenir sur l’origine du concept, mais voici deux exemples. Zunera Ishaq, citoyenne d’origine pakistanaise, vient de remporter une victoire judiciaire: il est permis de participer à la cérémonie d’assermentation pour l’obtention de la citoyenneté canadienne en portant le voile intégral, le niqab. Justin Trudeau, nouveau premier ministre, considère d’ailleurs que «le port du niqab est acceptable en tout temps et en tout lieu au Canada». Tout a commencé avec un autre épisode en 2002. Un élève sikh d’une école de Montréal, âgé de 12 ans, souhaitait porter son kirpan (un petit poignard considéré comme un symbole religieux par les tenants de l’orthodoxie sikh) en classe. L’école s’y est opposée pour des raisons de sécurité et après une saga judiciaire de quatre ans, le plus haut tribunal du pays lui a donné raison. Mais le kirpan est interdit à l’Assemblée nationale du Québec, dans les avions et à l’ONU pour des raisons de sécurité. Ne cherchez pas la logique… »
« C’est probablement en raison de mes affinités avec la gauche que je me sens profondément trahie par son courant communautariste qui n’a ménagé aucun effort pour défaire la laïcité et faire reculer par exemple les droits des femmes et des homosexuels sous la pression des intégristes. Je parle là de tous les intégristes. Car reconnaissons qu’il n’y pas que les islamistes qui testent nos États avec leurs listes d’épicerie.
Je n’ai aucune tolérance envers ceux qui ont fait le lit des intégristes. Je n’ai aucune sympathie à l’égard de ceux qui ont multiplié courbettes et salamalecs à des prédicateurs comme Tariq Ramadan alors que les miens se faisaient égorger en Algérie. Je viens de cette histoire-là. La corporation des journalistes dans mon pays d’origine a payé un très lourd tribut: 123 employés de presse (pas tous journalistes) ont été assassinés entre 1993 et 1997. »
Islamophobie
« Les médias dominants sont le reflet de notre époque, consumériste à volonté et servile à souhait. Or, pour comprendre le monde et ses convulsions, il faut du temps, des connaissances et du recul. Les islamistes travaillent en meute, sur le long terme, et disposent de moyens financiers considérables. Ils savent soudoyer les uns comme ils savent jeter l’anathème sur certains autres en les accusant d’islamophobie. »
« Être critique vis-à-vis de l’islam, c’est prendre le risque d’être taxé d’islamophobe… On est dans la confusion la plus totale. Je pense qu’il y a un acquis depuis les Lumières qui est celui de la critique des religions et cela vaut pour toutes les religions. Et quand je parle des Lumières, je pense aussi aux Lumières arabes. Au VIIIe siècle, dans le monde arabe, existait une école rationaliste qui prenait ses distances par rapport au Coran, qui n’était pas dans la sacralité, qui était dans la critique, dans l’exercice du jugement, qui n’était pas dans la fragmentation en fonction d’une religion mais dans la continuité de l’humanité.
Or ce que veulent les islamistes aujourd’hui, c’est précisément nous couper de cette humanité, nous enfermer à double tour dans une cage ethnique et religieuse avec le nez collé au texte dans ce qu’il a de plus littéral, d’où le djihad, la discrimination etc. Je voudrais qu’à la simple question de l’utilisation de la violence, la réponse du monde musulman soit univoque pour la dénoncer, or on se rend compte qu’il y a des écoles de pensée qui continuent de la légitimer.
Nous devons réapprendre à défendre nos valeurs sans honte et ça, les Occidentaux ont beaucoup de mal à la faire. Autant nos adversaires sont décomplexés, autant nous sommes hésitants, on se demande sans cesse si on ne les chatouille pas trop fort… »
EXTRAIT DE :
- djemilabenhabib.com
- Entretien avec Djemila Benhabib: «les Lumières ont existé grâce à la critique de la religion» http://kabyleuniversel.com/2015/07/19/entretien-avec-djemila-benhabib-les-lumieres-ont-existe-grace-a-la-critique-de-la-religion/
- Djemila Benhabib « Nous faisons face au projet envahissant de l’islam politique » https://www.lecho.be/actualite/archive/Djemila-Benhabib-Nous-faisons-face-au-projet-envahissant-de-l-islam-politique/9810122
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.