– Fawzia Zouari : « Il ne saurait y avoir de féminisme d’Orient ou d’Occident »

Fawzia Zouari : « Il ne saurait y avoir de féminisme d’Orient ou d’Occident »

Avertissement : Ceci est un document de travail d’une traduction pour anglophones, il devait figurer à l’origine sous le texte traduit en anglais mais pour des raisons de mise en page et de présentation il était plus lisible de séparer les deux versions. Il s’agit d’extraits d’articles et/ou entrevues, afin d’introduire les idées des autrices au grand public, mais en aucun cas d’un compte rendu exhaustif de leurs pensées… Afin de mieux les connaître n’hésitez pas à acheter leurs livres ! Merci pour votre compréhension.
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Née en Tunisie au sein d’une fratrie de six sœurs et quatre frères, Fawzia Zouari est docteure en littérature française et comparée à la Sorbonne. Journaliste et chroniqueuse à Jeune Afrique, elle est publiée dans la presse internationale. Romancière et essayiste prolifique, elle a écrit de nombreux ouvrages, notamment 3 livres à propos du voile islamique : « Le voile islamique: histoire et actualité, du Coran à l’affaire du foulard », « Ce voile qui déchire la France » et « Je ne suis pas Diam’s ». Elle organise le parlement des écrivaines francophones.

La Tunisie :

« La Tunisie a toujours existé par ses femmes – son histoire compte des figures féminines exceptionnelles comme la Reine Didon ou Saïda Mannoubia. Et elle a toujours pris des décisions extraordinaires : elle fut la première « wilaya » à contester l’autorité du califat de Bagdad, au VIIIe siècle déjà, parce qu’elle refusait de payer l’impôt ! Elle a institué au XIIe siècle le contrat kairouannais qui n’existait dans aucune contrée d’islam et qui garantissait la monogamie aux femmes. Elle a aboli l’esclavage au XIXe siècle et lancé la première constitution laïque du monde arabe. Et elle a eu Bourguiba, lequel a transmis aux Tunisiennes ce joli trousseau du Code du statut personnel. Aujourd’hui, si défaite du gouvernement islamiste il y a eu, si la preuve est donnée au parti El-Nahdha que la Tunisie n’est pas une proie facile, c’est aux femmes qu’on le doit. »

«  je me suis sentie pousser des griffes quand j’ai su que partout en terre d’islam des cheikhs nous insultent et nous crachent dessus, prétextant le caractère « hérétique » du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) de Tunisie, dont les propositions révolutionnaires visent précisément à protéger les dites libertés et à éliminer la discrimination à l’égard des femmes. Selon la rumeur, des imams et des théologiens choqués par ce rapport veulent « sortir la Tunisie de la carte du monde arabe ». Comment donc ? Ils vont nous découper et nous jeter à la mer ? Nous empaqueter et nous pousser, plus au nord, en territoire « infidèle » ? J’ai regardé la carte et je me suis renseignée sur le passé. La menace des barbus ne rime à rien. Géographiquement, nous n’avons jamais fait partie des frontières arabes. Nous sommes un pays du continent africain et de la mer Méditerranée. Historiquement, nos racines sont multiples : berbères, romaines, carthaginoises avant la conquête islamique. (…) Alors que certaines régions arabes formaient encore des tribus, nous étions une nation. Celle qui s’est dotée d’une Constitution et a aboli l’esclavage dès le XIXe siècle. A édicté un pacte pour protéger les minorités. A enfanté Bourguiba, artisan du code du statut personnel, consacrant, avant nombre de pays d’Orient et d’Occident, l’égalité des sexes, l’abolition de la polygamie et le droit à l’avortement. A permis aux femmes de conduire voitures et avions depuis des décennies, là où certains royaumes ont attendu 2018 pour enclencher la première vitesse d’une émancipation de façade. A tout misé sur l’éducation et non sur les armes et n’a jamais massacré ses opposants comme chez les despotes orientaux. A osé se révolter contre son raïs sans provoquer de guerre civile, quitte à se voir réduite à la misère, parce que son peuple comme ses élites ont toujours répugné à courber l’échine.

Alors, vous, obscurantistes de par le monde qui voulez exclure la Tunisie, sachez que le rapport de la Colibe ne fait que l’ancrer dans sa tradition des Lumières et ne s’oppose en rien à sa Constitution. Il réitère le refus de traiter les femmes comme des objets et les minorités comme des esclaves. Il répugne à considérer le Tunisien comme un croyant avant tout, car il est d’abord un citoyen libre de choisir sa religion, son identité et son partenaire sexuel. Si c’est pour cela que vous ne voulez plus de nous, nous ne voulons plus de vous non plus ! La Tunisie sortira de votre giron avec plaisir. Car elle entend faire partie des nations libres et justes, alors que vous avez fait de la soumission et du châtiment les bases de votre justice et de votre pouvoir. En attendant, continuez à brimer vos peuples, à enfermer vos femmes, à décapiter vos militants de la liberté et à lapider vos homosexuels. Tout cela au nom d’une religion qui ne se reconnaît plus en vous. Et qui s’honorera d’accéder à l’universel grâce à un tout petit pays, lequel, si vous regardez bien, se fraie un chemin sur une autre carte et marche dans le sens de l’Histoire. »

Laïcité :

« Il existe, bien sûr, des hommes laïcs dans les pays arabes qui luttent aux côtés des femmes et consentent volontiers à leur laisser une part du pouvoir. Mais si vous revenez à l’Histoire, aux sources dogmatiques et à l’inconscient musulman, il y a toujours cette guerre masculine pour contrôler la sexualité féminine, que ce soit sous le voile, derrière les murs ou à travers l’injonction patriarcale. De sorte qu’on peut lire l’histoire musulmane comme une succession d’envoilement/dévoilement des femmes, d’acceptation/refus de l’émergence du corps féminin dans la cité. Un corps féminin qui ne réussit pas à se défaire de sa désignation comme « tentation », pour émerger comme « corps social », tout simplement. (…) Aucune société ne peut prétendre à la démocratie et aux libertés sans inclure l’égalité entre les sexes. Et comment ? Forcément en légiférant hors de la loi religieuse. Par conséquent, tant que les révolutions arabes ne se décideront pas à opter pour la laïcité, tant qu’elles puiseront dans le référent religieux, il n’y a aucun espoir de libérer les femmes, voire l’individu musulman. Le jour où il y aura une volonté de séparer la mosquée et l’État, de légiférer selon des lois séculières, d’accepter de libérer le corps des femmes, ce jour-là s’annonceront les vraies révolutions du monde arabo-musulman. »

Relativisme culturel et accusation d’islamophobie :

« Je déplore un certain discours de la gauche française qui fait des musulmans des victimes ou des protégés. Je récuse les plaidoyers de certains avocats d’office qui veulent voir en nous les nouveaux damnés de la terre. Pourquoi ? Parce que cela nous empêche de dire ce qui ne va pas chez nous. Parce que cela nous déresponsabilise et soumet ceux, parmi nous, qui appellent à l’autocritique, à l’accusation d’islamophobie. Parce que cela nous empêche de devenir acteur et sujet de notre Histoire. Insidieusement, cette attitude de solidarité ne fait qu’instituer une sorte d’omerta sur l’islam, d’occulter la « question musulmane » et de nous exclure du débat. Le plus grave, c’est que la révolution rétrograde en matière des droits des femmes gagne l’Europe. Il y a des quartiers où on ne serre pas la main des femmes, où vous ne pouvez vous mettre à la terrasse d’un café pendant le ramadan. On est dans un pays laïc, où l’égalité des statuts est réel, où la mixité est obligatoire. Quand vous vous retrouvez dans certains quartiers comme si vous étiez dans la médina de Tunis, vous vous dites : mais pourquoi ai-je fait le voyage ? J’ai écrit un petit texte sur la solitude des musulmans laïcs. On se sent seuls. Le féminisme français est à l’épreuve des islamistes. Lors d’un récent débat radiophonique, sur quatre femmes, j’étais la seule à me prononcer contre le voile islamique. (…) Paradoxalement, ce n’est pas en Europe, c’est dans le monde arabe que les langues se délient et que naissent des voix courageuses appelant à l’autocritique et à la nécessité de mettre des mots sur les maux de nos sociétés. C’est dans le monde arabe qu’émergent les nouvelles lectures des sources religieuses et les combats pour la laïcité. Mais l’Occident préfère jouer au « penseur  suprême » avec des relents de compassion chrétienne. Il préfère avoir son propre discours sur nous, les intellectuels musulmans, et ce discours confine à une sorte d’essentialisme à l’envers. Pourtant, nous soutenons l’Occident sans lui être aliénés, notre désir d’ouverture à l’Autre n’étant qu’une expression de confiance en nous-mêmes et d’un esprit souverain. La critique que nous adressons à nos coreligionnaires ne relève aucunement du déni de notre monde mais du désir de l’inclure dans le destin universel. Nous sommes entrées en résistance. Nous avons un ennemi qui s’appelle l’islamisme. Et une bête sanguinaire qui se nomme Daesh. Dans nos paroles, comme dans nos œuvres, nous nous devons d’être des guerrières. »

Féminisme « blanc » , féminisme « islamique »:

« C’est le dernier «procès en colonisation» à la mode. Il s’attaque à «la colonisation du féminisme», de même qu’on s’attaquait hier à la colonisation des esprits, des langues ou des modes de vie. Le féminisme, dans sa conception classique et de par son origine occidentale, serait empreint de racisme et d’islamophobie ; au mieux, d’autocentrisme et de maternalisme. Il serait pensé par des femmes blanches pour des femmes blanches, bourgeoises de surcroît. Il faut donc s’en méfier. Changer de grille de lecture. Ancrer la thématique de l’émancipation des femmes dans la diversité des cultures et l’ouvrir à d’autres conceptions du féminin. Je ne fais pas partie d’un cercle «homologué et approuvé occidental», mais ces propos me font dresser les cheveux sur la tête – non voilée bien évidemment. Comment ne pas voir dans ce procès appelant au rejet du «féminisme blanc» un relais, conscient ou non, du «féminisme vert» qui se propage en terre d’islam comme en Europe. Autrement dit, derrière les arguments de «diversité», de «globalisation» ou de «tradition culturelle spécifique» ici avancés, l’on assiste au retour d’un patriarcat d’autant plus insidieux que ses porte-parole sont des femmes et d’autant plus dangereux qu’il conforte l’attitude d’une idéologie nostalgique du passé et pour lequel l’Occident demeure le responsable de tous les malheurs du monde.

Vous me direz, c’est normal qu’il y ait une remise en question d’un féminisme «taille unique». Et cela s’explique plus dans le contexte arabo-musulman affecté par les offensives occidentales, le conflit israélo-palestinien, les désenchantements nationaux, l’émergence des Frères et d’autres défaites. Des femmes ont alors défendu l’idée d’un «féminisme islamique» lequel avait pour but de démontrer que ce ne sont pas seulement les dynamiques inspirées de l’Occident qui mènent le processus de rupture avec la société arabe traditionnelle et qui, il faut le reconnaître, eurent l’avantage d’ouvrir, en partie, les portes de l’exégèse féminine et de servir de passeport pour un certain accès à l’espace public. Toutefois, l’idée que les islamistes auxquels il faudra ajouter les nouveaux défenseurs du relativisme culturel se définissent comme féministes relève de l’imposture. Le recours même au mot «féministe» est une aberration si l’on définit le féminisme comme un combat universel et sans concession contre la domination masculine. Et parce que le féminisme ne saurait privilégier la différence des femmes à l’universalité de leurs droits. Reconsidérer leur statut du point de vue de la tradition revient à le soumettre à la loi patriarcale. Par ailleurs, en quoi ce «féminisme» fait-il avancer la cause des femmes alors même qu’il l’emprisonne dans des combats d’avant-garde tels que le voile, la non-mixité ou la complémentarité ? Est-ce apporter «la contradiction qui enrichit» que de vouloir réintroduire le référent religieux sous le nom d’approche «transculturelle» ? Peut-on être féministe et défendre une quelconque prescription de contrainte sur le corps féminin, fût-elle revendiquée par l’intéressée ? Personne n’oblige les femmes à être les mêmes, mais aucun féminisme réel ne peut faire l’impasse sur l’intégrité de leur corps ni accepter de revenir sur leurs acquis sous prétexte d’une hiérarchisation des luttes. Nul ne doit s’immiscer dans la croyance des femmes, mais nul ne doit aliéner leur liberté à des doctrines immuables, ni occulter la question de leur émancipation sous des avancées de façade.

Qu’on arrête donc de nous dire que le voile ne stigmatise pas le corps féminin ou qu’il ne le désigne pas comme attentatoire à l’ordre de la cité. Qu’on cesse de prétendre que la défense des femmes doit s’attaquer à leur domination économique et sociale et fermer les yeux sur les signes où résident les plus insidieuses présences de cette même domination. Feindre qu’il n’y aurait d’autre issue pour les réfractaires au modèle féministe classique, et plus précisément pour les musulmanes pratiquantes de France, que de retourner «chez elles», insinue que l’islam se réduit à ses apparences extérieures aux dépens de sa spiritualité et qu’il serait incapable de faire siennes les valeurs universelles, fussent-elles inspirées par l’Occident. Je ne crois pas que l’espace de tradition et de religion soit un espace de liberté. Je me refuse à parler de «nouvelle invention de la modernité» pour une approche qui, au fond, considère la modernité comme un mal occidental. Je crois entendre le timbre moralisant qui assimile la liberté de l’individu féminin à une dissolution des mœurs. Et je pose la question : que serait un «féminisme décolonisé» si ce n’est un féminisme délesté de la plupart des acquis engrangés ? De quel droit décider que certaines lois, comme l’interdiction du voile en France, sont «antimusulmanes», alors même que des millions de musulmanes se battent dans le monde contre le voile. Pourquoi la défense du voile devrait-elle être mise sur le même plan que la lutte contre le viol ou les violences conjugales ? Qui, de celle qui se bat contre la radicalisation et celle qui s’occupe de guerroyer pour le hidjab, est plus utile pour la société ? Comment accuser de «matérialisme» un féminisme qui s’échine depuis des décennies à faire des femmes des êtres affranchies de toute tutelle ? Le matérialisme ne consiste-t-il pas, plutôt, à flatter la différence et à victimiser l’Autre ? A générer un islamo-féminisme qui est en passe de jeter la discorde entre les femmes ? Les dénonciateurs du «féminisme colonisé» ne rêvent-ils pas, somme toute, d’un «féminisme indigène» et ne renouent-ils pas avec l’orientalisme d’antan ? Je veux bien que l’identité soit mobile et mutante mais encore faut-il que cette mutation ne rogne pas sur les acquis des femmes. Si le particularisme peut être gros d’universel, je m’en méfie quand il est invoqué au sujet des femmes car, souvent, il taille dans leurs libertés. »(…)

« Peut-on parler d’un « féminisme islamiste »? La formule étonne quand elle ne choque pas. Et l’association entre le référent laïque/occidental, d’un côté, et le référent religieux/islamique, de l’autre, semble irréconciliable. Toutefois, il importe d’interroger ce phénomène au lieu de le rejeter d’emblée. La mouvance du « féminisme islamiste » a eu le mérite de sortir la question des femmes de la confidentialité domestique ou élitiste et de l’exposer au grand jour, posant les débats latents ou non tranchés depuis des siècles sur la mixité, le port du voile, le partage de l’espace public. Elle a mis en exergue le dilemme de sociétés musulmanes vivant une forme de « schizophrénie » entre les progrès modernes et la tradition, entre l’appel du siècle et la peur d’y perdre son âme. Elle se prévaut également d’avoir son mot à dire sur les sources religieuses dont elle use pour étayer son discours. (…) Toutefois, les militantes islamistes ne sont pas à une contradiction près. Tout en défendant une place et un rôle pour les femmes, elles leur dénient un statut d’égalité. Elles se refusent d’être qualifiées de victimes, mais justifient le pouvoir en maître des hommes. Elles veulent rentrer dans le champ du travail, mais signent le contrat de la « charia » qui les relègue à des postes inférieurs. Elles ne s’opposent pas aux progrès technologiques, mais elles réfutent la modernité et se désignent comme le symbole de l’identité musulmane. Elles se montrent dans l’espace public tout en réclamant le droit de se cacher sous le voile. Elles veulent se suffire à elles-même et prendre en charge mari et famille, sans remettre en cause des règles religieuses comme celle qui les oblige à hériter moitié moins que les hommes. C’est là où le « féminisme islamiste » devient, plus qu’un paradoxe, une imposture. Car peut-on réclamer d’ « exister » sans se considérer comme une personne à part entière? Peut-on prétendre se libérer du poids du corps via le voile, alors que celui-ci ne cesse de désigner la femme comme un corps avant tout? Peut-on défendre la féminité et vouloir, en même temps, supprimer la différence sexuelle dans l’espace public par l’intermédiaire du hijab? (…) C’est dire si l’idée d’un « féminisme islamiste » tourne court. Tant il paraît impossible que cette mouvance réussisse à changer le rapport de force traditionnel entre les deux sexes, ou qu’elle fasse naître « l’individu femme » en terre d’islam. En regardant vers le passé, le « féminisme islamiste » institue une évolution à rebours du droit. Toute liberté féminine qui sortirait du dogme serait assimilée à un sacrilège. Sans compter que l’idée d’un refus du féminisme dit « occidental » s’inscrit dans la même attitude qui oppose l’Orient/musulman à l’Occident/chrétien et finit par produire une version au féminin de la fameuse idée de « choc des civilisations ».

Sur le voile :

« Je fais partie de la première génération de femmes qui allaient à l’école. C’était une nouvelle Tunisie qui naissait. Il y a eu un président qui, quand même, avait mis le plus gros du budget dans l’éducation. C’est rare, d’habitude il était mis dans l’armée. Or lui a dit à nos parents ‘Laissez les étudier, et je leur donnerai un travail. Et il a tenu parole ».(…) »A l’époque actuelle, c’est différent. Les femmes sont allées à l’école. Mais malheureusement, nous sommes quand même devant une régression. Des droits des femmes. Nous sommes devant une situation paradoxale de femmes qui se voilent. Alors que nous, notre combat était de se dévoiler. Le geste symbolique était de dire : ‘Nous sommes sorties. Nous ne rentrerons jamais à la maison’. Et voilà que j’aperçois avec amertume et tristesse que notre combat n’a pas abouti ».

« c’est dire si ces siècles de tyrannie contre les femmes dont j’avais hérité et dont j’aurais pu être victime moi aussi ont fondé ma personnalité et façonné mon avenir. Quand on a été élevée comme moi par une mère dont nul n’a jamais pu apercevoir la nuque, la gorge, la courbure de la jambe, ni le moindre cheveu, quand on a eu des soeurs comme les miennes cloîtrées, au nom d’une loi interdisant leur corps, l’on peut comprendre ma réaction vis-à-vis du voile, dans sa pratique subie et imposée, encore plus dans son choix revendiqué. »(…) Je pardonne à ma mère qui n’a jamais été à l’école et à qui personne n’a expliqué l’injustice dans laquelle la confinait une tradition où elle voulait nous confiner nous aussi. Mais je ne peux excuser un tel comportement chez quiconque est instruit et éveillé aux problématiques du siècle. Je ne peux défendre un signe qui, dans nos sociétés, a toujours relégué les femmes derrière les murs. Je ne peux pas. Je ne peux admettre qu’on se voile volontairement en faisant comme si on n’était pas ainsi condamnée aux seconds rôles. Je ne peux admettre que l’on choisisse d’être sujette. De même que je reste circonspecte devant celles et ceux qui honorent Dieu de mesurer notre foi à la longueur de nos robes et au nombre de mèches échappées de nos fichus. Compteraient-elles davantage, ces robes et ces chevelures, que l’amour que nous Lui portons dans nos coeurs ! Le voile serait-il le seul moyen d’assurer notre salut à Ses yeux – sans quoi nous ne vaudrions rien ? Toutes ces questions, je me les posais déjà quand j’étais enfant. Et voilà que je les repose à mon corps défendant un demi-siècle plus tard. Je les repose à une jeune femme (la chanteuse Diam’s, NDLT) qui croit faire bien alors qu’elle me fait mal. Qui vit dans un pays où mes soeurs auraient tant apprécié de vivre et bénéficier des mêmes droits, à commencer par l’école. Une jeune femme qui me force à me demander : pourquoi ai-je fait le voyage de France, si Diam’s a le pouvoir d’y ressusciter le spectre de mes peurs anciennes ? »

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