– Wassyla tamzali : « Refuser les pratiques néfastes aux femmes, c’est simplement être féministe. »

Wassyla tamzali : « Refuser les pratiques néfastes aux femmes, qu’elles soient issues de la tradition islamiques ou très clairement prescrites par les textes coraniques, ce n’est pas être islamophobe, c’est simplement être féministe. »

Avertissement : Ceci est un document de travail d’une traduction pour anglophones, il devait figurer à l’origine sous le texte traduit en anglais mais pour des raisons de mise en page et de présentation il était plus lisible de séparer les deux versions. Il s’agit d’extraits d’articles et/ou entrevues, afin d’introduire les idées des autrices au grand public, mais en aucun cas d’un compte rendu exhaustif de leurs pensées… Afin de mieux les connaître n’hésitez pas à acheter leurs livres ! Merci pour votre compréhension.
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Wassyla Tamzali est une grande féministe algérienne. Elle a été avocate à Alger après s’être battue pour l’indépendance de l’Algérie et avant de devenir directrice des droits des femmes à l’Unesco. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture, au développement de l’art dans son pays et à la lutte pour l’égalité hommes-femmes en Algérie, et plus largement dans le monde arabe, en tant que présidente du Collectif Maghreb Egalité. Intellectuelle exigeante, abolitionniste ,laïque, elle réfléchit constamment sur les liens entre féminisme, démocratie et laïcité. Elle déploie dans son œuvre une pensée critique, en mouvement, dans des aller retours féconds entre les deux rives de la Méditerranée comme entre le passé et le présent. Voici des citations de ses réflexions, que vous pouvez intégralement retrouver dans le recueil d’articles ci-dessous dont elles sont extraites.

Sur le voile :

« Accepter la pratique, maghrébine ou pas, musulmane ou pas, de cacher ses cheveux, de ne pas se faire soigner par un homme, de ne pas serrer la main des hommes, c’est-à-dire accepter des pratiques de stricte ségrégation sexiste, me semble être une mauvaise réponse à un vrai problème. Refuser le voile ne signifie pas accepter le racisme ! Mener la discussion de cette sorte est faire preuve de mauvaise foi, la même mauvaise foi qui faisait réfuter le féminisme dans mon pays comme appartenant au monde occidental, monde qui commit les plus grands crimes dans nos pays, c’est vrai ! Les féministes étaient montrées comme les alliées objectives des Occidentaux. Il en est de même pour la démocratie, le «parti de la France». J’ai trop souffert de cette mauvaise foi-là pour accepter celle-ci, venant de féministes et de démocrates ! Et pas seulement moi, l’individu, ce qui serait déjà une bonne raison de m’insurger, mais nous, les intellectuels des pays du Sud, des pays non européens, qui luttons contre l’utilisation de la culture, du ressentiment, de la haine anti-occidentale pour étouffer la démocratie et la liberté. Nous luttons contre les régimes que l’on connaît, et faut-il ajouter l’opposition de ceux qui devraient être à nos côtés et à qui nous demandons d’user de la même rigueur à notre égard qu’à l’égard de leur société ? Il faut revenir à plus de raison. Si le débat sur le voile occulte le débat sur les discriminations racistes, que dire alors de l’assujettissement des femmes qui disparaît derrière le débat aberrant sur le droit ou pas de se cacher les cheveux, d’enfermer un individu dans son corps érotique ? La pensée féministe n’a-t-elle pas débusqué tout ce qui pourrait rattacher la femme à sa sexualité reproductive et à son appartenance exclusive à la tribu qui règle son sort ? Comment ici ne dira-t-elle pas avec force que le voile est bien le symbole de cet asservissement des femmes et que sa portée ne peut être altérée par son utilisation frivole ou à contresens par certaines ? « Il ne faut pas stigmatiser l’islam ». Je ne vais pas dire ici que le voile n’a rien à voir, ou si peu, avec la religion. Je fais partie de ces féministes arabes qui n’ont plus de voix car elles se sont époumonées à démontrer le poids terrible de la société patriarcale sur la femme et le peu d’influence de la spiritualité islamique sur les moeurs à ce sujet. Eh oui ! Je veux simplement rappeler que la peur de stigmatiser le christianisme n’a pas arrêté la lutte des féministes, pour la conquête essentielle du droit à l’avortement et de la liberté de disposer de son corps. On touchait là à un dogme beaucoup plus sérieux et avéré que le voile dans l’islam. Alors, ce qui est bon pour une religion ne l’est pas pour l’autre ? La gauche, une certaine gauche, les féministes, certaines féministes, par leur attitude, nous poussent à croire que ce qui touche à l’islam est en dehors de la pensée. Peut-on dire que ce qui conduit la pensée féministe en général n’est pas bon pour ce qui concerne les femmes dites musulmanes ? Nous avons déjà assez de mal comme ça pour que des intellectuelles ajoutent leurs voix – et quelles voix ! – à ceux qui pensent avec Tariq Ramadan qu’il existe un genre «femme musulmane»

(à propos desfilles, qui, en France, revendiquent le port du voile) : « elles sont tombées dans un piège. Certaines se sont voilées par jeu, par provocation, mais aussi par rébellion contre l’ordre dominant, trouvant là une définition de la liberté. J’ai envie de leur dire qu’on ne peut pas exprimer sa liberté en se jetant pieds et poings liés dans une culture dont l’objectif est la domination des femmes. Les mouvements des années 1970 ont été le rejet de toute identification. Aujourd’hui, on ne se lève que pour revendiquer son identité et, en général, une identité de victime »

«le voile est vécu comme un rempart contre la violence sexiste, symbolique ou exprimée. Il y a des écoles et des universités, des lieux, en Algérie, où l’on ne peut plus être dévoilée. En arabe algérien on dit qu’une femme dévoilée est nue, ce qui en dit long. C’est un rempart illusoire ; dans mon livre je montre l’escalade de la violence dans les rues arabes où il y a de plus en plus de femmes voilées. »

« Plus on refoule la sexualité, plus elle est présente. Le regard des hommes se fait de plus en plus lourd et concupiscent. Ce refoulement conduit à de véritables déviances pathologiques qui se traduisent par les actes les plus barbares à l’endroit des femmes, la burqa afghane (ou voile intégral) représentant la forme la plus aboutie et théâtralisée de ces déviances. Si les femmes et les filles, en se voilant, croient se mettre à l’abri du désir des hommes, c’est le contraire qui se produit La dissimulation des corps féminins a pour effet d’augmenter les crimes et le harcèlement sexuels, d’exacerber la peur des femmes et la convoitise des hommes. (…) au cœur de cette folie, se trouve l’obsession de la virginité […] et l’importance démesurée accordée à la préservation de l’hymen. Quoique les hommes musulmans veuillent se marier et marier des femmes vierges, les naissances hors mariage sont nombreuses et entraînent une panoplie d’aberrations, abandon d’enfants, infanticides, furie meurtrière des pères et des frères à l’endroit des jeunes filles enceintes et usage abusif de la sodomie et ses traumatismes cliniques ».

« On ne me fera jamais dire que le voile est innocent. Jamais. C’est bien plus qu’un signe religieux, comme l’est une croix, par exemple : c’est LE signe de l’oppression des femmes. C’est grave de le banaliser. J’ai du mal à comprendre les Québécoises qui appuient les revendications des femmes voilées. Elles ne penseraient jamais que le hijab est sans conséquence pour elles-mêmes ou pour leurs filles. Pourquoi est-ce plus acceptable pour une musulmane? »

« J’ai grandi dans une famille musulmane, au sein d’une des premières générations de femmes dévoilées, en Algérie. On tend à nier cette partie de l’Histoire, mais dans presque tous les pays arabes, des années 20 à 60, des femmes ont dit non au foulard. Elles sont sorties, elles sont allées à l’université. Comme quoi on peut très bien être Arabe et musulmane et ne pas se couvrir. La religion ne prescrit rien à ce sujet. « Le voile n’est pas musulman, il est patriarcal », a écrit Mohamed Talbi, grand spécialiste de l’islam. C’est un outil politique pour dominer les femmes. Dans certains pays, ça commence très tôt, avec des petites filles de 4 ans déjà couvertes de la tête aux pieds. »

« Porter le voile ne peut être revendiqué comme un acte de liberté. Même si, en Occident, des femmes voilées étudient, gagnent bien leur vie, vont au cinéma, ont un mari qui fait la vaisselle. Même si ça résulte d’un choix personnel. On peut très bien s’aliéner soi-même! Je trouve qu’elles renforcent une vision de la place de la femme dans la société issue du vieux modèle patriarcal. Elles tiennent pour acquis le discours sur la femme dans certaines interprétations de la religion. C’est ça qu’il faut déconstruire ! Pendant ce temps, le port du foulard se répand dans le Maghreb et partout ailleurs. Aujourd’hui même, dans certaines banlieues de Paris, les filles ne peuvent plus sortir sans leur hijab. Leurs frères les surveillent. C’était inimaginable il y a 15 ans. »

« Il faut que la gauche comprenne que le port du voile est un acte politique auquel il faut répondre par un acte politique : comment est-il possible qu’une gauche qui se dit féministe accepte de voiler les femmes, reniant toute la lutte politique sur les droits des femmes et sur le lieu d’oppression des femmes qui est le corps ? Selon moi, la gauche n’a pas pris la mesure du problème. Le voile n’est plus le signe d’une culture anthropologique mais d’une culture politique. Et je n’accepte pas une culture politique qui discrimine les femmes. Avec des raisons qui semblent de bon sens, on tue la résistance. Paul Ricoeur parle de tolérance. Mais alors, cela signifie que l’on tolère que des gens se trompent, donc que c’est relatif, mais ceci relativise la position qui soutient que l’oppression de la femme commence avec l’oppression du corps. Mais de cette façon, la gauche est en train de relativiser toute sa lutte. »

« Tous les défenseurs du différentialisme culturel ne vont pas jusqu’au bout de leur logique séparatiste. Ils reconnaissent le caractère discriminatoire de ces pratiques (du voile), mais ils justifient leur position par la défense des intérêts des petites filles et des femmes qui sont soumises ou qui se soumettent à ces règles. Ainsi des féministes, des intellectuels, des leadeurs politiques se lancent dans de nombreuses et longues explications sur les multiples et paradoxaux usages du voile en France, des piscines pour femmes, du refus des maris de voir leur femme auscultées par des hommes ou entrer seules dans le cabinet, même quand le médecin est une femme. Le respect de ces pratiques, disent-ils, permet aux femmes de circuler plus librement, de bénéficier des soins de santé, d’aller à l’école, à la Fac, de travailler, de se faire respecter en banlieues, etc. Bien que louable, le pragmatisme est une manière de baisser les bras devant la réalité. Le pragmatisme, comme le bon sens, sont redoutables. Ils permettent aux doctrines et aux idéologies d’avancer masqués et de s’installer tranquillement dans les sociétés en évitant tout débat de fond. C’est ce que j’avais, en vain, expliqué à un diplomate hollandais qui voulait me convaincre qu’il fallait tenir compte de la réalité de la prostitution, la rendre plus acceptable pour les femmes, plutôt que d’essayer de la combattre. Faire avec, efficace machine à entériner les discriminations. J’ai répondu à ce diplomate que, dans le département des droits de l’homme à l’UNESCO – où j’étais chargée des droits de la femme -, on ne faisait pas avec, mais contre toutes les formes avilissantes de discriminations. Accepter par pragmatisme la prostitution, c’est accepter le système prostitutionnel, et cela n’était pas acceptable ; accepter par pragmatisme le voile, c’était accepter les causes de la ségrégation sexiste, et cela n’était pas acceptable. Refuser les pratiques néfastes aux femmes, qu’elles soient issues de la tradition islamiques ou très clairement prescrites par les textes coraniques, ce n’est pas être islamophobe, c’est simplement être féministe. »

« L’Islam est devenu un continent « noir », devant lequel on arrête de réfléchir, devant lequel même les hommes et les femmes de gauche abdiquent toute forme d’intelligence… Mais ce débat a lieu parce que la tolérance de l’autre dans ce qu’il est fait partie des valeurs défendues par les intellectuels de gauche… Depuis une quinzaine d’années seulement. Mais les intellectuels de gauche ont d’abord défendu la liberté et la souveraineté de l’Homme ! C’est seulement devant cette chose insupportable, le racisme, que l’on a inventé le concept de tolérance. Alors oui, la tolérance consiste à accepter l’autre même s’il se trompe. Et c’est une bonne chose, car cela ouvre un dialogue avec l’altérité. Mais la lutte contre l’intolérance a une limite : l’intolérable. En d’autres termes, jusqu’où doit-on développer la tolérance ? Normalement, dans une société, ce « jusqu’où » est limité par les principes et les valeurs que s’est fixé cette société. Je regrette que l’on n’y ait pas inscrit les droits des femmes, que le monde occidental ait toléré des pratiques antiféministes. »

« On ne peut comparer une obéissance déguisée en choix et qui, en fait, n’est qu’un consentement. Partout dans le monde, la pratique du voile, n’est pas un choix, mais un consentement. Ce n’est pas la même chose, il y a une différence entre le consentement et le choix. Le choix libre se fait à travers un esprit critique, qui, sans cesse, va analyser les rapports de domination auxquels on est soumis. Quant au consentement, il s’effectue par rapport à des idéologies qui se situent au-dessus de la personne. Donc celle-ci ne peut pas discuter de ces idéologies, elle se soumet. Elle consent librement à respecter l’idée ou l’idéologie, qui est supérieure à soi, sans remettre en cause cette supériorité. »

sur le relativisme culturel :

« Le féminisme est un mouvement qui est peut-être né à un endroit précis mais cela ne l’empêche pas d’être universel. Il faut d’ailleurs défendre cette autonomie vis-à-vis des gens de chez nous qui nous accusent d’être sous la tutelle des occidentaux, mais aussi vis-à-vis des occidentaux qui nous reprochent de les imiter, avec la prétention des anciens colonisateurs. Ils pensent détenir les clés de l’univers et, quand nous commençons à parler d’égalité et de liberté, ils nous prennent pour des imitateurs. Cela est faux. Je pense notamment aujourd’hui aux mouvements d’indépendance qui animent toujours nos pays, même quand ils sont portés par des hommes et des femmes analphabètes qui n’ont aucune idée de la déclaration universelle des droits de l’homme, mais qui continuent à envoyer leur enfants à l’école, qui continuent à protéger certaines libertés qui sont au cœur de la déclaration universelle des droits de l’homme. Mais c’est à nous, intellectuels, d’être une avant-garde. Je revendique cela car un pays ne se forme pas sans avant-garde et sans élite, même si cette attitude est méprisée. Elle est méprisée par les gens du pouvoir parce que nous sommes des concurrents dans la production de la pensée, mais aussi par une certaine intelligentsia européenne aujourd’hui, que forment des pseudo-anti-élites. La nouvelle élite base aujourd’hui son pouvoir sur le fait qu’elle ne veut plus se reconnaître comme élite et qu’elle veut donner la parole aux opprimés. Mais c’est toujours elle qui parle au nom des opprimés. C’est une pseudo-parole donnée parce que ce sont eux qui continuent à interpréter les choses. Aujourd’hui, même dans les universités, nous trouvons des courants postmodernes qui, sous couvert de donner la parole aux victimes –qu’il s’agisse des anciens colonisés, des maghrébins victimes du racisme, des prostituées victimes de l’esclavage sexuel ou des homosexuels victimes d’homophobie-, refusent qu’on réfléchisse sur leur condition de victimes et enlève la parole à ceux qui prennent leur défense pour soi-disant la donner à ces dites victimes mais, au final, ce sont toujours eux qui parlent. »

« Mon vieux fond marxiste refuse une approche essentialiste de la culture. Dans notre drame il y a eu «préméditation». Je parle du «retour des tribus antiques» dans une rhétorique : je parle du retour du mythe de l’âge d’or de la tribu antique. Au lendemain de l’indépendance, ne nous sommes-nous pas vus comme une grande tribu merveilleuse, comme un ensemble de frères davantage que de citoyens, un mot qui n’a pas beaucoup de sens jusqu’à aujourd’hui ? (…) S’agissant des femmes et des codes d’honneur, je parlerai plus simplement de résurgence des mœurs archaïques. Résurgence entretenue et favorisée par les pouvoirs en place qui voient là une manière de mieux contenir la «fierté» des hommes. En quelque sorte, les hommes sont laissés maîtres d’un territoire, la féminité, qui leur est concédé par le pouvoir en échange du pouvoir absolu de celui-ci sur le reste ! »

« Nous savons maintenant qu’il n’y a pas d’avenir pour les femmes en dehors de la démocratie, comme il n’y a pas de démocratie sans la reconnaissance et la participation des femmes en tant que sujets libres et égaux. Cela peut ressembler à un slogan, mais c’est la réalité de la situation. La situation des femmes dans les pays arabes reste, contre toute raison, ce que nous savons qu’elle est, et cet état « inouï » perdure. Pourquoi ? L’assujettissement des femmes est une pièce importante des systèmes politiques de ces pays. Il s’agit d’une répartition des pouvoirs au sein de la communauté des hommes. Ceux qui exercent la puissance publique accaparent les richesses et se réservent tous les droits sur la cité. Même le pauvre homme lambda détient un succédané de pouvoir sur les femmes, il s’en contente, avec toutes les pathologies que l’on observe. L’homme arabe est un homme humilié, son seul territoire de satisfaction est les femmes. On peut dire alors de ces deux barbaries dont parle Gilbert Achcar (celle des dictatures militaires, d’un côté, celle des forces islamistes, de l’autre) qu’elles se soutiennent l’une l’autre dans un échafaudage qui menace de s’écrouler. La doctrine des islamistes à l’égard des femmes sert à merveille la pérennité des régimes en place. »

« Moi, je revendique le droit de parler en tant que  » personne de culture musulmane  » je dis  » islamique  » pour qui est religieux. Mais même la gauche nous exclut en tant que musulmans laïques ; elle refuse de donner une légitimité à notre parole. Il y a aussi un second point : la question du racisme à rebours de la gauche européenne, le refus de considérer que l’islam fasse partie de l’histoire de la pensée et qu’il puisse être soumis à l’évolution de la pensée. L’histoire finit là où commence l’islam. C’est comme si l’on disait que les droits de l’homme sont un concept qui n’a de pertinence qu’entre l’Oural et la rive nord de la Méditerranée. Ce racisme à rebours part d’un bon sentiment : combler le déficit de solidarité, souligner l’égalité entre les cultures mais il a un contre-effet, celui de placer cette culture en dehors de la pensée. De cette manière, le processus de résistance est exclu de la pensée. En revanche, la seule approche solidariste, selon moi, dans le contexte de mondialisation, doit être celle qui rassemble les différents groupes de résistance dans les différentes cultures. »

« Ce qui me frappe dans la région de la Méditerranée, ce sont davantage les ressemblances, même si nous avons, nous autres femmes de la Méditerranée du Nord comme du Sud, fait du chemin depuis ce que décrit Germaine Tillon dans le « Harem et les Cousins ». Le constat est que les différences tiennent plus à la politique qu’à la culture. L’égalité des femmes et des hommes dans les sociétés est une question politique qui n’a rien à voir avec les mentalités, la tradition ou la religion. »

« Nous les Algériennes sommes les héritières d’une génération de femmes qui s’est lancée dans la lutte politique, avant l’arrivée du féminisme moderne sur le devant de l’histoire et qui n’a pas été sans influence sur lui. À l’occasion du centenaire de Simone de Beauvoir, j’ai eu l’occasion de me replonger dans ces temps héroïques et j’ai constaté qu’autour de la défense des héroïnes algériennes s’étaient tissées des alliances qu’on retrouvait des années après, en France, par exemple, dans le mouvement des femmes. Nous étions des “avant-gardes”.

Sur le féminisme islamique :

« Le mouvement des féministes islamiques est né en Europe. Il a été lancé par des converties qui trouvent des financements inhabituels ou qui ne sont pas à la mesure des financements que le mouvement féministe trouve. Ça, c’est la première question qu’on peut se poser. L’autre question de fond concerne la théorie développée par les féministes islamiques. Celles-ci pensent qu’on peut trouver des droits des femmes à l’intérieur de la légalité coranique. Jusque-là, je suis d’accord. Pour beaucoup de femmes, la lecture du Coran leur a donné plus de droits que dans la vie réelle. Elles y trouvent le respect, des incitations morales… comme dans toutes les religions d’ailleurs. Mais le problème est de passer de l’incitation morale à une obligation juridique. Or, quand on passe à la partie juridique, on se rend compte qu’il y a des inégalités. »

« Je ne pensais pas être rattrapée en Algérie par cet oxymore qui fait un tabac en Occident, le «féminisme islamique». Ce mouvement occidental né à Barcelone a peu d’intérêt et de place chez nous où les islamistes avancent à visage dévoilé. Dans nos pays on ne parle pas de «féminisme islamique» et surtout pas les femmes musulmanes féministes. Mais quand le vin est tiré, il faut le boire jusqu’à la lie. C’est par une tautologie désinvolte que les féministes islamiques balayent de la main des siècles de luttes : on est libres parce qu’on est libres d’être libres. Résultats : on fait ce que l’on veut pour peu que l’on dise qu’on le fait librement. Ainsi s’aliéner volontairement est un geste qui «produit» de la liberté. Si j’accepte volontairement d’être la deuxième épouse d’un homme polygame, mon «choix» ferait-il de la polygamie une pratique de liberté ? Si je choisis de me voiler, le voile devient-il pour autant un symbole de liberté. Je ne suis pas contre la pratique du voile, chacune est libre de faire ce qu’elle veut, mais contre les discours qui font du voile un parangon de liberté pour les femmes «musulmanes». C’est ce que nous dit  le «féminisme islamique». Ce qui frappe dans cet article, c’est qu’il ignore la dimension politique de cette position. Les visées de ses adeptes, avec en figure de proue Tarik Ramadan, dépassent les préoccupations de libération des femmes. Ils veulent convaincre des vertus de leur religion et pour cela propager l’idée que les lois coraniques sont le chemin de la liberté et de l’égalité. S’il en était ainsi, nous le saurions, nous qui luttons depuis des décennies pour cela. Nous avons opté de guerre lasse pour la séparation les lois civiles et des lois religieuses. On ne peut pas réformer, alors séparons ! L’objectif politique principal de l’offensive dite «féminisme islamique» est de délégitimer nos luttes, de délégitimer le féminisme qui se décline sans adjectif, et surtout pas islamique. C’est aussi absurde que de dire les droits de l’homme islamiques ! N’importons pas ces faux débats. Les Frères musulmans égyptiens et tunisiens, les salafistes de toutes les latitudes ont répondu à ces positions scabreuses. Leurs visées mettent en péril les droits des femmes quand ils existent comme en Tunisie et s’opposent radicalement à la conquête des droits là où ils ne sont pas reconnus, c’est-à-dire le reste du monde arabe. Ils ont levé les doutes que nous pouvions avoir sur le bien-fondé de la voix islamique pour les femmes. Une voix sans issue si on s’y engage.»

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