– Chahla Chafiq : « le choix du voile n’est pas équivalent au choix d’un rouge à lèvres »

Chahla Chafiq : «le choix du voile n’est pas équivalent au choix d’un rouge à lèvres»

Avertissement : Ceci est un document de travail d’une traduction pour anglophones, il devait figurer à l’origine sous le texte traduit en anglais mais pour des raisons de mise en page et de présentation il était plus lisible de séparer les deux versions. Il s’agit d’extraits d’articles et/ou entrevues, afin d’introduire les idées des autrices au grand public, mais en aucun cas d’un compte rendu exhaustif de leurs pensées… Afin de mieux les connaître n’hésitez pas à acheter leurs livres ! Merci pour votre compréhension.
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crédit photo : Patrick Nussbaum

Militante de gauche, Chahla Chafiq fuit le régime Khomeiny en 1982 pour s’exiler en France où après une thèse d’état elle devient docteure et chercheuse en sociologie. Autrice de nombreux ouvrages dont « Islam Politique, Sexe et Genre », « Femme sous le voile », elle est également une écrivaine de grand talent (« Demande au miroir »). Son site internet : https://chahlachafiq.com/

Sur le voile :

« La philosophie du voile, qui existe en islam comme dans le judaïsme et le christianisme, consiste à dérober les femmes aux regards illicites des hommes. Une analyse approfondie démontre qu’il est révélateur de la situation sociale et politique de la société concernée. Dès l’instant où la religion quitte le domaine de la spiritualité pour devenir la loi qui gère la vie collective et individuelle, la foi entre dans un processus d’idéologisation. Le voile devient la bannière du projet politique islamiste. Opérée depuis les années 1970 dans de nombreux pays, la réislamisation idéologique est systématiquement liée au développement des islamistes. C’est le cas de l’Égypte, l’Iran, l’Algérie, la Tunisie ou encore du Maroc. À partir du vide politique créé par la dictature et la défaite des mouvements humanistes, l’islam politique propose son idéologie comme une offre alternative. Pour infléchir les lois et règles sécularisées, puis installer sa société islamique idéale, il passe, soit par la voie des armes, soit par celle des urnes. Les islamistes propagent le voile comme un repère identitaire et le proposent soi-disant pour le respect de la dignité des femmes. Protégées et aimées, elles sont, selon eux, complémentaires des hommes. L’égalité est rejetée, car supposée « occidentale » et non conforme à la « culture musulmane », alors que ce principe est universel et universalisable. Les islamistes confondent sciemment liberté sexuelle, prostitution et pornographie. Ils vantent leur conception de la famille comme garante de la sécurité des femmes, à condition qu’elles se soumettent aux normes et lois dictées au nom de Dieu. Cette perspective peut faire sens auprès des musulmans en quête de repères dans un monde en crise. Les islamistes réhabilitent les valeurs sexistes et sexuelles pour leur offrir un cadre identitaire « sécurisant » et « valorisant ». Cette offre idéologique peut prospérer là où le vide social, culturel et politique se creuse, dans un pays dit islamique mais aussi au-delà, comme en France. »

« Diverses raisons peuvent expliquer qu’une femme se voile. Mais ce geste banalise un signe sexuel et symbolise une féminité soumise au regard de l’homme. Le corps des femmes est ainsi marqué, comme objet de la convoitise sexuelle. Cela va avec la diabolisation de la libération des femmes, présentée dans la propagande islamiste comme source de dépravation des mœurs et de dislocation des familles. La question est bien évidemment différente selon qu’on le porte par choix ou par contrainte. Derrière chaque voile, on ne trouve pas une femme islamiste. Mais le dialogue ne doit pas s’arrêter à la question du choix. Au contraire, il doit continuer en explorant la trajectoire de la personne concernée, l’ambiance dans laquelle elle vit et l’évolution sociale et politique de son environnement. Certains sociologues et intellectuels estiment que le libre choix clôt le sujet. Or, le choix du voile n’est pas équivalent au choix d’un rouge à lèvres. On impose aux femmes, au nom du dieu, un rapport sexiste avec leur propre corps. Celui-ci devient un lieu de péché et de tentation. Dans le même mouvement, les hommes apparaissent comme porteurs d’une virilité non maîtrisable. Tout cela conduit à bannir la mixité comme dangereuse. Les rapports de sexe s’en trouvent aussi diabolisés. Quelles en sont les conséquences en termes d’égalité de sexe et de liberté des femmes ? C’est à cette interrogation que l’on doit répondre. Le voile « choisi », phénomène très courant de nos jours, est un piège. Aux origines de l’islam, quand cette religion ne se posait pas encore comme la source des lois, le voile n’existait pas. Il est arrivé plus tard, avec la charia et sa vision de la famille patriarcale où l’homme est le chef et protège la femme (inférieure en droit, elle vaut la moitié d’un homme) et les enfants. Pour que ce schéma se réalise, les femmes ont le devoir de servir la famille. Le voile leur est proposé pour incarner la division sexuée et la hiérarchisation des rôles. Il crée symboliquement un mur sexué, censé protéger les frontières du licite et de l’illicite par la séparation des sexes. Paradoxalement, en marquant les femmes par cette division, il les sexualise. Il marque leur corps comme un lieu de tentation, de désordre, de péché qui perturbe la chasteté du groupe. De nombreuses jeunes femmes qui choisissent le voile disent le faire pour ne pas être considérées comme des objets sexuels, alors que c’est précisément la dimension sexuelle du corps féminin que ce choix exacerbe. Je conçois que, dans certains cas, le port du voile corresponde bien à un choix de la personne concernée. Mais, comme pour tout autre choix, ce choix impose d’emblée une autre question : quelles sont les conséquences de ce choix par rapport à l’égalité des sexes et à la liberté des femmes ? Ce qui m’amène aussitôt à une autre interrogation : pourquoi ce choix n’est-il pas proposé aux hommes ? Certains diront : « Ils portent la barbe ». Oui, mais c’est quand même très différent : la barbe est une façon d’exhiber la virilité, alors que la philosophie du voile est de cacher la féminité. Pour ne pas éveiller les tentations. »

« Il y a la crise sociale et politique qui explique le succès de l’islamisme en raison des problèmes d’exclusion et de l’écroulement des idéologies qui se voulaient progressistes. Le vide a été rempli par une alternative identitaire, extrême droite d’un côté, islamisme de l’autre, qui appartiennent tous deux au nouveau fascisme. Il y a une crise de sens, de valeurs, de sorte que ces valeurs, celles des droits de l’homme, de la femme, de progrès social, ne sont plus défendues avec la même force qu’auparavant. L’Iran a été le laboratoire de tout cela. L’islam révolutionnaire, qui y a triomphé, se voulait juste, égalitaire des éléments qui sont présents aujourd’hui dans l’islamisme européen : lutte des opprimés, lutte contre la corruption, question morale. Mais, en suivant cette logique, on arrive à l’alternative communautaire, l’islam comme religion devenant source de lois sociales. J’ai constaté, dans mon travail en banlieue, que l’on commence par le voile, puis on en arrive à l’absence aux cours de natation ou de biologie. C’est un ensemble. Pas à pas, on approche d’une alternative communautariste. À travers mon travail sur l’immigration, j’ai pu voir à l’oeuvre les mécanismes qui permettent le développement d’une utopie fascisante, basée sur l’identité, avec à la base la tradition patriarcale, et donc avec la question de la femme au coeur du projet. Ce n’est pas un hasard si le voile est le symbole de cette stratégie.  L’islamisme a en face de lui des femmes qui ont gagné leurs droits à faire des études ou à travailler. Certains courants de l’islamisme (qui est une idéologie pluritendance allant des libéraux aux radicaux) prennent en considération ce mouvement irréversible. Pour ces derniers, le port du voile ne rime pas forcément avec l’enfermement des femmes dans l’espace domestique ni avec leur exclusion des espaces publics et de la société, du savoir et du travail. Dans leurs propagandes, ils mettent en avant l’image d’une collectivité qui met les hommes et les femmes à l’abri des tentations malsaines pour qu’ils puissent agir conjointement en vue de construire une famille et une société selon les normes et lois islamiques. Dans cette optique, la propagande pour le voile se fait plutôt en le présentant, d’une part, comme un rempart contre le désordre sexuel et moral, et d’autre part, comme un moyen de restituer la dignité des femmes en les sortant de la position d’objet sexuel. Le voile devient aussi une condition licite d’accès des femmes musulmanes à l’espace public. D’où les inventions comme le burkini. Comme le disent Tariq Ramadan et ses adeptes : « Le voile est le passeport des femmes musulmanes pour devenir citoyennes. » Mais pourquoi devraient-elles se munir d’un passeport pour accéder à l’espace citoyen ? La réalité est que les femmes ont acquis des droits, et les islamistes essaient d’adapter leur stratégie à cette évolution majeure, ils veulent canaliser leur force dans le sens de leur projet. « 

sur le relativisme culturel :

« Des féministes disent : « Certes, je considère le voile islamique comme un phénomène sexiste, mais je préfère laisser ce débat aux femmes musulmanes parce que je suis blanche, parce que je suis occidentale. » Ces mots-là me poussent dans une impasse. Ils m’enferment dans une identité qu’on me colle à la peau, à laquelle il semblerait que je ne puisse jamais échapper. Oui, c’est à moi que reviendrait la parole, car j’appartiendrais à l’oumma, à cette masse de musulmans dont le passé, le présent et l’avenir seraient inéluctablement déterminés par la religion.  Et voilà les féministes « blanches » appelées d’emblée à prendre une distance bienveillante, vouées à la neutralité ! Tant pis si l’imposition du voile ne relève pas que de la loi islamique et trouve son pendant dans d’autres lois religieuses ! Tant pis si une partie non-négligeable des femmes en burka sont bel et bien des femmes « blanches » et occidentales ! Tant pis si ces phénomènes interrogent le monde et notre société sur les crises socioculturelles et politiques qui les traversent ! Tout cela est balayé d’un revers de main. Il ne reste qu’une certitude : moi et les personnes comme moi, venant de pays dits islamiques, portons sur nos épaules les enjeux de ce débat. Il doit avoir lieu entre eux, les islamistes, et nous, les « musulman-e-s » humanistes et féministes. Pourtant, n’est-il pas vrai qu’ici même, en Occident, l’instrumentalisation du « culturel » et du « cultuel » au détriment de la liberté des femmes est un invariant pour qui veut maintenir les femmes dans un état de subordination ? N’est-il pas vrai qu’ici même la lutte pour l’émancipation n’avance que par la déconstruction de l’image figée de « la femme », image justifiée par le recours à la « nature » et à la « culture » ? N’est-il pas vrai que cette image n’agit que pour garder les femmes dans un « être » déterminé à l’avance, pour les empêcher de transgresser les identités fermées, pour restreindre leurs possibilités de devenir ? »

« La propagation de concepts tels que l’islamophobie, qui remplace le terme plus approprié de racisme anti-musulman, encourage ces logiques identitaires dans un contexte marqué par le développement des mouvements idéologico-religieux. En effet, le racisme anti-musulman renvoie à une vision stigmatisant les musulmans comme êtres inférieurs et justifiant leur rejet, alors que le concept de l’islamophobie sert à empêcher toute approche critique de la religion islamique, ainsi que tout combat contre l’islamisme (d’où l’aberrante accusation portée contre Caroline Fourest et les journalistes de Charlie Hebdo d’être islamophobes). L’instrumentalisation de ce terme encourage par ailleurs la création de concepts similaires. L’an dernier, les militants intégristes chrétiens qui empêchaient les représentations de la pièce de théâtre de Roméo Castellucci, « Sur le concept du visage du fils de Dieu », au Théâtre du Châtelet, brandissaient le drapeau de la lutte contre la christianophobie. Les croyants qui ne veulent pas vivre sous les diktats de l’ordre proposé par des mouvements idéologico-religieux comptent parmi les victimes de leur développement. Il suffit de regarder ce qui se passe en Tunisie et en Égypte. La liberté, la justice et l’accès aux droits démocratiques ont été les leitmotivs des contestations populaires. Mais les orientations islamistes vont à l’encontre de ces élans sous prétexte du respect de l’identité religieuse. En Iran, cette logique a conduit à la catastrophe. Les droits des femmes ont été réprimés  ; les libertés ont été bafouées et la censure justifiée au nom du respect de la charia. Un an avant la fatwa contre Rushdie, durant l’été 1988, des milliers de prisonniers politiques iraniens, dont la majorité était des jeunes âgés de moins de trente ans, ont été pendus au prétexte qu’ils auraient été des soldats de la guerre contre l’islam. Une partie importante d’entre eux était des croyants musulmans. Ces expériences doivent nous alerter sur les dangers des visions qui présentent l’islam comme la source d’une identité musulmane globale et globalisante et tendent à justifier des violences islamistes contre l’irrespect envers l’islam comme des heurts de civilisation. « 

sur le féminisme islamique : 

« Il ne résiste pas à une analyse approfondie de la religion en tant que source de loi. Dès qu’elles deviennent source de loi, toutes les religions, y compris l’islam, préconisent en effet une hiérarchisation sexuée, nécessaire à la complémentarité des sexes (à chacun ses droits en fonction de ses devoirs). Il existe bien sûr diverses interprétations qui peuvent permettre des réformes (comme par exemple en Algérie où les femmes ont accès à l’instruction, au travail rémunéré et à l’espace public, tout en se voyant imposer des inégalités justifiées par la charia, particulièrement dans le domaine du code de famille). Quant aux courants islamistes réformistes ou révolutionnaires, ils ne renvoient pas non plus les femmes à leur foyer, mais les invitent à devenir les actrices d’une société islamique idéale et à en préserver l’identité en acceptant la répartition sexuée des rôles préconisée par la loi religieuse. Ainsi, dans tous les cas, dès qu’on refuse la liberté et l’égalité sous le prétexte de préserver l’identité islamique, le but réel n’est que la préservation de la famille patriarcale. Et il n’en découle que des inégalités, pudiquement appelées « équité islamique » et justifiées au nom de la dignité des femmes. Le féminisme peut-il vraiment renoncer à la liberté des femmes et à l’égalité des sexes ? Quand les partisanes du « féminisme islamique » se mettent dans la perspective de sortir de la religion-loi, elles sont conduites à se placer dans une perspective laïque. Dans ce cas, pourquoi parler de « féminisme islamique » ? Pourquoi ne pas dire simplement qu’elles sont féministes et veulent s’émanciper des lois patriarcales qui s’appuient sur la religion ? D’ailleurs, bien avant l’apparition du « féminisme islamique », les féministes des pays dits « musulmans » avaient recours à des interprétations ouvertes des textes religieux pour faire avancer leurs revendications, tout en se protégeant d’une accusation d’hérésie. Cependant, elles ne qualifiaient pas cette démarche de « féminisme islamique ». Le problème est que ce concept a des conséquences identitaires qui profitent aux islamistes. Ces derniers font en effet de l’islam une identité qui englobe le passé, le présent et l’avenir des musulman-e-s, une démarche clairement totalitaire. Mettre le féminisme qui exige un devenir ouvert, dans une perspective religieuse, c’est créer des impasses identitaires et empêcher l’individualité autonome des femmes et des hommes. »

« Il faut se garder de prétendre qu’on peut atteindre l’égalité des femmes par le religieux. Lorsque la religion devient la loi, c’est toujours la femme qui en pâtit. Dès lors qu’il lui est imposé de porter le voile ou de restreindre ses libertés, comment pourrait-elle s’émanciper ? Les féministes islamiques revendiquent le droit de porter le voile comme geste politique, identitaire ou religieux. Mais si porter le voile est s’élever soi-même, pourquoi, alors, les hommes ne le portent-ils pas? Eux doivent porter la barbe, symbole et marquage de virilité. La femme, elle, doit cacher sa peau et ses cheveux longs. En fin de compte, on en arrive toujours au corps des femmes comme lieu de toutes les tentations. Le féminisme est un projet politique qui vise à changer le modèle social et sociétal actuel. Comment réussir à accomplir ce projet par la loi religieuse ou même la spiritualité? Il faut faire attention aux récupérations à des fins politiques du terme «féminisme». L’islam politique, soit l’établissement d’un Etat fondé sur les principes de l’islam, ne pourra jamais être un modèle démocratique favorable aux libertés individuelles, et a fortiori à celles des femmes. La religion doit rester une affaire privée, pas une loi qu’on impose aux autres. Et la seule manière d’empêcher les lois édictées par les autorités religieuses, c’est la laïcité. Je peux tout à fait concevoir le fait d’avoir la foi et je suis, dès lors, favorable au concept de musulman(e)s féministes. Mais lorsqu’on parle de féminisme musulman et/ou islamique, on essentialise le fait d’être musulman avant tout. On en fait une identité globale, comme s’il n’existait qu’une seule façon d’être musulman, une seule façon de pratiquer l’islam. Or, il existe des musulmans sunnites, wahhabites, chiites, soufis, etc., avec des pratiques bien différentes d’un pays à l’autre, d’un peuple à l’autre, d’une histoire à l’autre. Comme il n’y a pas une seule façon d’être femme ou d’être féministe. Le concept de féminisme musulman revient à créer des particularités, des sous-catégories. Et, au fond, à diviser un peu plus. Comme s’il s’agissait de créer deux féminismes: celui, prétendument «blanc», «occidental», «athée», contre le «monde arabo-musulman», prétendument uni. »

« Un simple regard sur l’histoire des luttes pour l’accès aux droits démocratiques dans les pays islamiques montre que des démarches de relecture des enseignements islamiques ont toujours existé, mais les féministes ne se sont jamais cantonnées à ces démarches ni n’en ont élaboré une doctrine populiste afin de trouver une voie de libération qui serait adaptée aux souhaits du peuple musulman. Rappelons par exemple que les réformes d’Habib Bourguiba en Tunisie en matière de droits des femmes étaient fondées sur une interprétation progressiste de l’islam. Cette contradiction traverse, et souvent de manière plus importante que sous la Tunisie de Bourguiba, un nombre important de pays islamiques qui connaissent un processus de modernisation sans que l’Etat modernisateur assume la modernité politique et ses principes démocratiques. Dans ce contexte aggravé par une corruption générée par la dictature et les injustices, l’islamisme se présente comme une alternative politique capable de mobiliser, et ce d’autant plus qu’il profite des moyens que la légitimité de l’institution religieuse lui offre. Il prône ainsi un retour à l’islam pour la construction d’une société idéale qui offrirait aux hommes et aux femmes une place digne dans une société juste et saine. La théorie du féminisme islamique, en faisant de l’islam la source et l’horizon de la praxis féministe, projette, au-delà de la volonté de ses concepteurs et de ses défenseurs, un islam essentialisé qui croise parfaitement les objectifs de l’islamisme et va à l’encontre de l’autonomie créatrice projetée par le féminisme. En créant une étiquette identitaire, il renvoie les féministes qui agissent depuis des décennies dans des pays islamiques dans la case des non-authentiques.  Dans les années 1970, l’essor du mouvement féministe a ouvert de nouveaux champs de recherche sur les rapports sociaux de sexe, alors que le féminisme islamique est d’abord une invention universitaire remontant aux années 1990 et une tentative de récupération de tous les mouvements qui critiquent les visions patriarcales de l’islam, s’efforcent de déconstruire les images stéréotypées des femmes en islam et réinterprètent la charia en faveur des droits des femmes. Or, toutes ces démarches sont bien antérieures au féminisme islamique. Par exemple, en Tunisie, dès les années 1950, des réformes qui améliorent le statut personnel des femmes, défendent une interprétation ouverte des principes islamiques. Ces démarches n’ont pourtant jamais été qualifiées de féminisme islamique. »

« La préservation de l’identité islamique face à la culture occidentale constitue l’élément-clé du féminisme islamique. Cette stratégie identitaire se construit sur un double mirage :  1/la réduction de l’islam à une identité globalisante qui gomme la diversité des trajectoires des individus, de leurs modes de relation à la religion et de leurs convictions 2/la réduction du féminisme à la culture occidentale qui transforme les féministes originaires des pays dits islamiques en des êtres aliénés, soumis à l’Occident impérialiste. Cette essentialisation, doublée de la référence au sacré, nuit évidemment aux luttes féministes, qui se fondent sur l’autonomie en devenir des individus, et elle fait obstacle à ce devenir. Elle discrédite aussi toute lutte féministe et laïque. »

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