Ressource Féministe : Eliane Viennot
Ici nous souhaitons promouvoir les blog/sites féministes que nous aimons, qui ont compté pour nous, ou les plus importants selon nous pour nourrir la réflexion et donc l’action féministe. Les féministes accomplissent au quotidien un travail bénévole immense, et nous pensons que c’est en soi une action féministe de le faire connaître. Cet esprit de partage est l’une des valeurs essentielles de la sororité qui anime notre collectif… Cette rubrique n’est pas encore exhaustive, nous allons l’enrichir au fur et à mesure des partages de nos ressources, merci de patienter ! (certains sites sont dans la liste de liens permanents, à droite des textes)
NB : Pour la forme, on a choisi de rebloguer un de nos textes préférés du site (si wordpress le permet) ou de copier coller l’article du blog avec le lien direct (ici cliquer sur l’image ci-dessous pour accéder au site.)
Lien du texte que nous avons choisi : http://www.elianeviennot.fr/Langue-mots.html
Pourquoi choisir «autrice» plutôt qu’«auteure»?
Raisons linguistiques :
« parce ce mot est le féminin naturel d’auteur: il vient du latin auctrix, qui a donné le doublet actrice/autrice, comme le mot auctor a donné acteur/auteur;
– parce qu’il s’insère naturellement dans une série de substantifs très fournie: actrice, amatrice, auditrice, compositrice, conductrice, éditrice, lectrice, traductrice…
– parce qu’il a été utilisé sans problème jusqu’au XVIIe siècle, aussi bien dans son acception courante («celle qui fait»: une bonne action, un crime…) que dans son acception spécialisée («celle qui a écrit»: un livre, une lettre…);
- «Après donc la malédiction du serpent, le doux et bon médecin faict et baille les emplastres et cauteres necessaires pour la guerison de la playe de nature humaine, preservation et conservation de santé, s’adressant à la femme, comme auctrice de péché et plus blessée.» (Guillaume Briçonnet, lettre à Marguerite d’Angoulême, 31 août 1524)
– parce qu’il a continué d’être employé ensuite, malgré les condamnations des académiciens:
- «Vous leur permettez [aux femmes], messieurs les académiciens, d’être bonnes lectrices, vous trouvez également bon qu’elles soient habiles accompagnatrices, et si pour bien des choses vous entriez en lices avec elles vous convenez que dans le nombre vous pourriez rencontrer de dangereuses compétitrices ;pourquoi donc ne leur laissez-vous pas la liberté d’être compositrices ? Et de quel droit vous étonneriez-vous qu’elles fussent autrices excellentes, de même que plusieurs sont actrices sublimes? Mais point: il vous plaît que madame [Louise] Farrenc, par exemple, dont le nom brille d’un vif éclat parmi ceux des femmes vivantes citées par notre collaborateur, soit une excellente auteur dans un genre qui paraissait inaccessible à son sexe, savoir, la grande symphonie, et que cette savante compositeur regrette de n’avoir pu écrire pour la scène. […] Les noms d’auteur et compositeur appliqués aux femmes avec une terminaison masculine sont pour elles une injure véritable et semblent précisément indiquer cette interdiction qui a si fort choqué M. Bourges, et l’habitude inconvenante de regarder le talent chez la femme comme un véritable phénomène.» (Adrien de La Fage, «Supplément aux deux articles “Des femmes-compositeurs”» [de Maurice Bourges, parus dans les n°38 et 39 de la même revue, même année], Revue et gazette musicale de Paris, n° 40, 3 octobre 1847, p. 323-325.
– parce qu’il est toujours utilisé en italien, où il ne semble pas avoir été combattu.
Raisons politiques
– parce qu’il s’agit du mot le plus attaqué par les idéologues masculinistes. C’est au XVIIe siècle que cette croisade a commencé, soit à l’époque où des femmes commençaient à parvenir à la notoriété littéraire (Scudéry, Villedieu, La Suze, Lafayette, Deshoulières…) – bien qu’on les empêche toutes de recevoir une éducation secondaire et supérieure. D’autres termes féminins connotant des activités intellectuelles majeures ont de la même manière été condamnés:
- «Il faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc.» (Andry de Boisregard, Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, 1689)
– parce qu’il symbolisait au premier chef la capacité des femmes à créer une oeuvre de leur cerveau. Les masculinistes n’ont jamais combattu actrice, qui symbolisait au contraire la capacité des femmes à montrer leur corps en public – en déclamant (le plus souvent) des textes d’hommes;
– parce que des femmes et des hommes féministes n’ont cessé de protester contre les condamnations dont il était l’objet. Excepté les autrices elles-mêmes, qui avaient d’autres chats à fouetter pour imposer leur légitimité sur le terrain des lettres, mais qui n’ont pas toujours hésité à dénoncer le harcèlement qu’elles subissaient (voir par ex. La Femme auteur de Félicité de Genlis, 1802, éd. Martine Reid, Gallimard 2 €);
– parce que les académiciens ne veulent toujours pas le reconnaître!
Auteure?
Il s’agit d’un néologisme québécois créé dans les années 1970-1980 par l’Office [québécois] de la Langue Française, pour répondre à l’agacement des femmes affublées du nom masculin. Sans doute ce terme a-t-il semblé plus consensuel qu’autrice, dans la mesure où l’on n’entend pas la différence avec le masculin. L’Office s’est bien gardé de proposer le choix – alors que, contrairement à l’Académie française, il est composé de linguistes. Ce sont les études féministes sur la littérature des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles qui ont permis de l’exhumer.
Auteure n’est pas pour autant un «barbarisme», comme ont longtemps dit les académiciens. Les mots féminins en -eure ne sont pas légion en français, néanmoins il en existe (subst. supérieure, prieure…, adj. majeure, intérieure…). La plupart viennent de comparatifs ou superlatifs latins (terminés en -or), mais pas seulement. Les textes du Moyen Âge montrent que les lettrés de cette époque n’hésitaient pas à écrire possesseure, seigneure… mais aussi prieuresse, seigneuresse, preuves du désir de nos ancêtres de disposer de féminins qui s’entendent. Il convient de les suivre, et de conserver les mots en -eure pour les cas où il n’existe pas d’équivalent possible (notamment ingénieure, puisqu’ingénieuse est le féminin d’ingénieux). Dans le cas contraire, on multiplie les exceptions – et donc les possibilités d’erreurs pour les personnes maîtrisant mal la langue ou n’étant pas «initiées» (les optiques démocratique et féministe sont liées). Dans la plupart des cas, il existe des mots très anciens incontestables morphologiquement. »
voir aussi : l’article d’Aurore Evain : «Histoire d’autrice, de l’époque latine à nos jours», 2008 – pdf — reparu en ouvrage, avec la pièce de Sarah Pèpe, Illes, sous le titre En compagnie (iXe, 2019)
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