– Ressource Féministe : L’échouée, « une noyée qui se repose entre deux eaux. »

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Lien du texte que nous avons choisi : https://lechouee.home.blog/2021/05/27/prole-taire-la-bouillie/

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Prolé-taire : La bouillie

Publié par lechouee 

« La bouillie c’est cette préparation à base de farine, de lait et de sucre. Ma mère ajoutait parfois du cacao.

On lui en demandait de temps en temps comme on lui demandait des crêpes. En passant, je pense aux gaufres, un plat de pauvre parmi d’autres et qui a fini sur des blogs culinaires d’hommes et de femmes qui ne le sont pas – pauvres. La bouillie c’est un plat pour les gosses mais aussi un plat de pauvres. Ça cale et les ingrédients sont basiques et peu coûteux.

Quand je vivais en Ariège, j’étais pauvre, bon j’ai toujours été pauvre et je suis de retour sous le seuil de grande précarité, mais je me souviens de ce que je mangeais. Je ne me nourrissais pas, je me remplissais pour apaiser mon estomac. Et c’est comme ça que je suis revenue à la bouillie. Un plat peu cher qui cale. 

Je n’avais pas de cacao mais j’avais du lait et du sucre.

La précarité économique, quand tu es très pauvre, c’est aussi dans la tête, j’avais des voisins et j’avais peur des gens, maltraitances sur des années oblige, j’étais à pied, pour les courses pendant un long moment. L’intérêt de la bouillie c’était aussi que les ingrédients nécessaires, on est censée les avoir de base chez soi, et donc on peut éviter, pour la majorité de temps, de sortir pour acheter à manger et croiser des gens.

Un jour je n’ai plus eu de lait, alors j’ai mis de l’eau et du sucre. C’était déjà moins drôle.

Oui, nous les pauvres, on a quand même le droit de trouver des plats immangeables. Tu as déjà entendu : « y en a qui refuse ce qu’on leur donne ». Y a des pauvres qui ont des allergies alimentaires, des pathologies qui demandent des ajustements alimentaires. C’est une des raisons, mais en faut-il vraiment, pour laquelle manger doit être gratuit. Manger est un besoin viral comme boire, respirer, dormir. Les pauvres, on est les enfants du capitalisme, « tais toi et mange », on est des « mange-merde ».

Ensuite j’ai cessé d’avoir du sucre. Alors c’est devenu vraiment dégueulasse.

Je ne mangeais pas que ça, j’avais d’autres aliments de pauvres, pas bio, pas local, pas sains, mais peu coûteux quoi, mais le soir, c’était le réveil de la peur du lit, de la peur, de l’obscurité, des cauchemars et du manque. 

J’ai encore, de loin en loin, des moments où j’ai peur de manquer de nourriture. C’est gravé en moi jusqu’à la mort. Une douleur que je ne transmettrai pas car je refuse de faire des enfants. C’est pareil pour le froid. Jess a dû travailler dur avec moi pour que je consente à mettre le chauffage chez moi, je le mettais en journée pour ma chatte surtout. Mais moi non. Moi non, j’apprenais le froid et la sensation de manquer de nutriments. Il y a manger et se nourrir. 

Même si je devenir pétée de thunes demain, mes filles nées par mon corps souffriraient de ma pauvreté, cette marque indélébile, jusque dans mes cellules, mon ADN.

La pauvreté se transmet, c’est trans générationnel. Autant je trouve la richesse obscène, et les riches décadents, autant vivre la pauvreté à vie et cachée, c’est dur, donc je ne leur trouve aucune excuse. Comme je ne trouve aucune excuse aux violeurs de femmes qui payent leurs victimes et appellent ça du « travail du sexe ». Les fois où j’ai donné de l’argent, parce que ça m’est arrivé, je n’ai jamais exigé de remboursement et encore moins de pouvoir violer en retour. Jamais.

La pauvreté c’est tabou, c’est être malade et sale, mais ce sont les riches qui le sont. Nous on récure, on frotte, on détache, mais le plus entretenu des taudis reste un taudis. Tu auras beau trouver de la peinture pas trop chère et refaire les murs, la pauvreté, c’est comme la moisissure d’un logement insalubre, elle revient toujours, elle finit toujours par se voir.

J’aurais dû avoir une vie différente, rester muette et violée à répétition. Pour mon bonheur je suis lesbienne, et j’ai réussi à me vivre lesbienne. Je sais que ça peut paraître étrange, mais être lesbienne et pauvre c’est dur, c’est être condamnée à la solitude et au dénuement. Des lesbiennes mariées et mères de famille chez les prolos, je suis certaine qu’il y en a énormément.

Cependant la pauvreté ne me quittera jamais. Les remarques des gens sur les pauvres seront le seul sel de ma vie, sur mes plaies de prolétaire.

Il y a eu un moment, cependant, dans ma vie où j’ai pu manger de façon saine, ça apaisait mes troubles alimentaires (être pauvre est une condition pour en développer), je me sentais mieux, j’avais moins de réactions digestives d’inconfort. Et paf, y a un mec qui n’a pas pu supporter ça et m’a accusée de ma la jouer pure parce que j’avais eu l’occasion d’accéder, pour un moment, au lait de soja et j’allais au marché deux fois par semaine, c’était pas plus cher, j’arrivais même à être entourée de gens. Il a tout foutu en l’air par ego, par jalousie de Y. Mes heures de recherches sur le net pour me créer une base de données en nutrition, il a tout ruiné, et j’ai replongé dans les TA. Une femme pauvre qui oublie de rester à sa place, y a toujours un connard ou une connasse pour lui rappeler qu’aller bien, cela lui est interdit. Une femme pauvre est là pour servir.

Tu crois que ça a disparu le travail domestique chez les autres ? Le service à la personne, ce fameux « travail du care », tu crois que c’est quoi ? Même en métropole, même si tu es blanche, quand t’es prolo, avant tu étais caissière, mais sinon tu torches des culs, et tu fais la vaisselle chez les autres. Encore et toujours sur le dos des femmes pauvres.

Je parle français, anglais et si j’ai perdu mon espagnol, je le lis encore un peu. J’ai une fausse identité de culture aux yeux des cultivés. soit les femmes ne me voient pas pauvre, soit elle finissent par me maltraiter, moi et nous, pauvres, elle nous traitent, forcément comme une sous classe à un moment donné. Forcément. Je crois qu’il y rarement plus abject et prétentieux que d’accuser une femme de manquer de culture, la critiquer sur ses écrits de cette façon. Ça m’a empêché d’écrire pendant longtemps. Le syndrome de l’imposture. 

Les pires, ce sont celles qui ont tellement le militantisme à l’envers que non seulement elles repèrent direct, mais elles se servent de ton énergie et de ton amour de prolétaire (un amour immense de la vie) pour gonfler leur ego de femme qui n’ont pas le droit de faire de l’ombre aux hommes de leur classe. La femme pauvre est un exutoire partout ou elle passe.

Cependant j’ai vécu le strict contraire : Ne parle pas de ce que tu ne connais pas. Pardon ? J’ai dû m’adapter à votre registre de langage de bourge de mes deux, constamment ramenée à ma classe, à cause de mes fringues, parce que la première chose que je regarde c’est le prix, quand je me rendais dans des espaces féministes lesbiens, je perdais la possibilité de manger presque correctement pour plusieurs semaines. Mais.

Mais. 

Je ne ressemble pas aux cassos, celles qu’on retrouve dans les bureaux des assistantes sociales, c’est ça ? Pourtant j’en ai été, et si j’en ai pas parlé, entre féministes, c’est à cause de ce classisme de merde. Parce que le mépris des hommes j’ai l’habitude, un homme qui repère une pauvre, il se demande combien de temps et comment parvenir à la baiser ou à la prostituer (s’il est pauvre, ça lui rapporte plus que la weed). Une féministe qui n’est pas pauvre, qui ignore ce que ça fait de garder des serviettes jetables de merde, qui tiennent pas, qui irritent, pour sortir et qui garde des vieux chiffons pour absorber le sang dans un studio de merde, quand une femme comme elle me dit que je ne peux parler pour les prolétaire, oui parfois j’ai envie de lui cracher juste devant ses pieds. Lui cracher mon propre mépris. C’est pourquoi, nous femmes pauvres, ne faisons que rarement partie des luttes féministes, et sommes encore moins reconnues comme militantes féministes révolutionnaires.

Prends ça deux secondes pour toi et comprends ceci : une lesbienne pauvre est une proie militante, c’est celle qu’une middle classe ou plus va baiser, puis qu’en elle en aura marre de cette parvenue qui pense trop (et mieux qu’elle), elle la jettera. La pauvre ne vaut rien. Les lesbiennes pauvres encore moins. C’est pour ça que les militantes qui se prétendent anti-racistes mais traitent les prolétaires blanches comme également privilégiées qu’elles, socialement, ces nanas me dégoûtent. Et j’ai juré de ne plus jamais coucher avec une non-prolétaire. Je reste dans ma classe, ma famille, les autres ne me méritent pas. Ni ma bienveillance, ni mon intelligence, elles ne méritent pas de bénéficier de la sagesse d’une lesbienne prolétaire, ou de sa rage de vivre.

Au fond de moi réside et résiste cette envie de briller intellectuellement car le milieu prolo garde ses filles incultes volontairement. Et si tu as une once de culture, durement acquise du fait du tabou culturel, tu perds ta place. On te dit bourge, fière, pimbêche, ect. De l’autre côté de la barrière sociale, les hommes te voient te comme une paysanne à trousser, ton intellect ne fait que les rendre encore plus imbus d’eux mêmes. Les femmes se méfient souvent, qui est cette parvenue, sans diplôme souvent, sans une liste de références universitaires longue comme leur ego et qui ose parler, écrire, être là. Exister. Cette lesbienne théoricienne, cette femme pauvre, elle est dangereuse à leur petit confort de mes deux. Et elles le savent très bien.

Tu t’es jamais demandé pourquoi les hommes ont dépeint Marie-Madeleine comme une prostituée ? A cause de sa culture et de son indépendance. Chez les prolo, une femme qui sort, en tout cas chez moi, c’est une pute.

Arrête de lire, va aider ta mère à faire la vaisselle. Tu lis trop, tu vas attraper une méningite. Maintenant que tu es au collège, tu te débrouilles (et paf l’échec scolaire 2 ans plus tard…). La culture fait peur aux pauvres. Les femmes se sentent illégitimes, les hommes usent de violence quand ils ne comprennent pas (déjà qu’un Y ça comprends pas quand chose…). Une prolo ne droit pas dépasser un prolo. Reste à ta place. Mais les prolo ont pas de besoin de faire l’ENA pour comprendre que non seulement leurs gosses ne serviront qu’à engraisser ces bâtards de riches gras, ces violeurs de femmes de chambre, mais elles savent tout autant que les classes moyennes et sup vont nier à la fois que leur train de vie est directement responsable de la précarité économique et de la réduction de l’espérance de vie des femmes pauvres, mais qu’elles se tapent en plus le culot de dire que « si on veut de l’argent, faut travailler » voire carrément « y a des pauvres et des riches, ça toujours été comme ça ». Tu as déjà vu une femme proposer à une prostituer de devenir caissière pour sortir du viol ordinaire ? A gerber.

Avec ma tête pleine de questions et mes fringues de seconde main, et tout ce que j’entendais à l’école : ta mère lave le linge dans la rivière, vous avez pas de machine à laver, t’as des poux, t’es moche, chez toi c’est sale. Quand tu as huit ans, ça ne peut que faire mal car c’est fait pour. Et tu dis rien à la maison. Mes questions ne trouvaient aucune réponses de toute façon. Grandir en tant que môme, gamine, moutarde, drôlesse, prolo, c’est savoir en soi-même, qu’on est que de la chair pour les riches. Pour ça, j’avais pas besoin de poser la question.

J’ai une sœur de lutte qui dit qu’elle haït les riches, bah moi aussi. L’argent c’est pire que tout, ça tue et ça rend sale. Les hommes qui blanchissent de l’argent sont les pires, aucun produit ne peut enlever les tâches de sang, de sueur et de chagrin des prolétaires. Jamais.

C’est comme ma bouillie à base d’eau et de farine. J’ai tenu peu de temps, j’ai demandé à ma grand mère si elle pouvait m’aider. D’ailleurs cette bouillie c’était parce qu’elle m’évitait déjà la rue. Je rongeais sur le chauffage, la bouffe, je bougeais à peine, je hantais un endroit qui n’était jamais le mien, jusqu’à très récemment. Quand tu connais à ce point la précarité et que tu sais que tu n’en sortiras jamais (puis si c’est pour finir comme ces connards de bourge, c’est hors de question), tu finis par ne plus bouger, ne pas te sentir chez toi, même si le bail est à ton nom. La femme pauvre n’existe pas. Elle sert et c’est tout.

Cette bouillie était autant une façon de cacher la sensation de faim qu’un moyen de me punir d’être pauvre et en vie de toute façon.

Les pubs sur le net sont une piqûre de rappel constant de ma pauvreté. Les pseudo produits bio, ecolo, secs. Pour les moyennes classes. Tout est cher et j’ai grandi là dedans : dans le rappel constant que je suis une « sans dents ». Que non, je n’aurai jamais les moyens de manger correctement, de me nourrir correctement et selon mes principes (oui les pauvres ont des principes, elles au moins). Comme à l’école, quand j’avais la télé chez mes parents. Ces pubs, je les supporte plus, j’use sans honte des bloqueurs de pub sur le net, je m’épargne le résultats de cocaïnomanes violeurs récidivistes qui considèrent la ménagère de moins de cinquante ans comme une cible de vente. Ces mecs-là sont des parasites, on devrait les condamner à vivre au RSA à vie.

Méfiez-vous des femmes pauvres, et plus particulièrement des lesbiennes pauvres, celles que vous sautez dans les rassemblements féministes et dont vous salissez la réputation, après avoir compulsivement apaisé pour un temps le sentiment d’être sales vous aussi, du fait d’être femme. On a beau être des prolétaires, nous les lesbiennes sans dents, on sait très bien qu’on nourrit des fantasmes de camionneuses et compagnie. Vous nous faites passer pour des meufs instables et toxiques, dès qu’on a vous filé quelques orgasmes dans vos lits, on ne vous sert plus à rien d’autre qu’à vous servir de reflet glaçant de votre propre misogynie intériorisée : baiser une lesbienne pauvre, parfois j’ai l’impression que ça vous dégoûte autant que lorsque c’est un mec qui vous baise. Je ne vois pas d’autres explications qu’à la masculinisation des lesbiennes pauvres chez les lesbiennes de classe moyenne et supérieure. Je n’en vois pas d’autres. On est brutes, dans le sens fortes et puissantes, parce que c’est ça ou mourir, et ça permet de nous tenir, nous et nos traumas de pauvres et de violées. Et cette brutalité qui n’est que la conséquence d’avoir survécu à la violence du prolétariat phallocrate, vous la retournez contre celles qui ont eu la malchance de vous avoir aimées pour qui vous étiez, pendant quelques temps. Quand on vous aime, quand on vous dit « je t’aime », vous vous sentez sales, alors vous nous salissez. Et ça, je ne peux décemment pas le dire en espace féministe sans que ça siffle ensuite dans mes oreilles.

Méfiez-vous des lesbiennes et des femmes pauvres, on est pas vos jouets, on est pas vos exutoires, on vous emmerde à la prolétaire. On est pas vos sex-toys, merde à la fin.

Un jour, les « sans-dents » que nous sommes, les crocs de la révolte et de la rage nous poussent dans les gencives, toute la douleur de la pauvreté, le déni militant des camarades prolo rarement ou jamais là, car pauvres justement. 

L’effort constant de « bien » parler, parce que mec, gonze, tocard, c’est du parler prolo. Les middle classes qui achètent des fringues trouées, les miennes qui le sont devenues par manque d’argent. C’est pitoyable. Quand mes chaussures sont trouées et que je tombe malade, c’est pas classe, c’est suintant de pauvreté.

La richesse à réduire en bouillie, celle-ci sera immangeable mais sans doute la seule pour laquelle, noues, femmes prolétaires, et surtout lesbiennes prolétaires noues mettrons à table.

Avec toute ma rage de petite fille prolétaire, mes mains sales de prolétaire qui savent bien plus que les fils « de » et les « filles de ».

La noyée »